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de la Tamise, et partout on les a vus croître, partout s’entourer d’autres rejetons. Les Gaulois s’appelaient Francs et les Bretons Anglais ! »

Hans Schwartzmann termina, d’un ton sentencieux :

— L’univers est asservi à notre universalité.

René et ses amis avaient assisté avec stupeur à cette explosion inattendue.

Luce, avançant sa frimousse mutine vers Hans, lui dit de sa voix claire à la diction précise :

— Puisque vous aimez les fictions, vous comprendrez ce conte… Il était une fois un chien sauvage, jeune et vigoureux, qui vivait dans un bois voisin du village avec sa femelle et ses petits. Chaque saison, la chienne se montrait féconde ; et le mâle, fier de sa nombreuse famille, s’écriait : « Bientôt, le bois ne suffira plus à nous abriter. Nous serons la plus grande tribu du monde ! » Mais, il ne songeait pas que le gibier dont ils se nourrissaient diminuait en proportion des besoins de la horde prolifique. Un jour, vint la disette… Alors, le chien sauvage se hasarda jusqu’au village ; il se traînait en rampant — adoucissant l’expression de ses yeux. Des petits enfants passèrent : il leur lécha la main. Et tandis que les bambins le caressaient sans méfiance, le chien saisit l’un d’eux dans sa gueule, et, se sauvant avec son butin, il le rapporta aux siens en guise de pâture. Depuis, fier de son exploit, il veut croire à sa sécurité ; il pense : « Grâce à mon astuce, je me procurerai toujours la subsistance chez nos voisins : ils sont si niais qu’ils ne se défient point des fourbes ». Pourtant, le chien s’inquiète : il sent que la traîtrise est une arme vite émoussée et que le village, averti, le guette… C’est une grosse bête affamée qui montre les crocs parce que son mufle tremble… Elle menace de manger tout le monde ; et sait que, le jour où elle voudra mordre, elle courra le risque de happer une muselière.

Hans haussa les épaules et bégaya d’une voix pâteuse :

Deutschland über alles !…

René restait muet, peiné de découvrir ce Schwartzmann inconnu, si différent du philosophe éclectique d’Heidelberg.

Mais Paul Dupuis, toisant l’Allemand vaincu par l’ivresse, conclut avec son mépris souriant de Parisien gouailleur :

— Il a le vin patriotique… Ça tient peut-être à leur sacrée manie de boire des mélanges tricolores ; ils se figurent qu’ils viennent de pomper leur drapeau !




VIII


Après le départ des Fischer, Schwartzmann fut plus assidu que jamais chez les Bertin, ce qui resserra son intimité avec Jacqueline : car le modiste, absorbé par la saison d’hiver, ne quittait pas le magasin où la jeune fille ne se montrait guère depuis qu’elle fréquentait l’Allemand.

Tout d’abord, Michel Bertin avait pris un malin plaisir à gâter les visites de Schwartzmann, en lui imposant sa présence réfrigérante : son mutisme hostile — plus gênant qu’une parole maussade — arrivait à glacer l’entretien, par la contagion du silence. Mais le grand-père ne pouvait résister longtemps à l’antipathie que lui inspirait Hans ; et il cédait la place à l’ennemi, fuyant du salon dès qu’on annonçait Schwartzmann.

René était rarement là dans l’après-midi, retenu à l’atelier ; appelé au