Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’exemplaires, et que l’on appelle : la petite femme.

Les deux compagnes de Luce étaient des « utilités » peu utiles du théâtre. Leurs regards espiègles et leur fraîcheur devinée sous la poudre de riz les rendaient suffisamment attirantes.

Luce les présenta sous les prénoms de Simone et Yvette ; passé minuit, le nom de famille est une formalité superflue entre gens qui se quitteront à l’aurore. Les deux gamines ricanaient et se trémoussaient en dévisageant effrontément Hans et Hermann, avec L’ingénuité malicieuse des enfants qui complotent une niche. Simone — la blonde — questionna René :

— Alors, on va s’amuser ?

Et Yvette continua, d’un accent appliqué, son ton d’actrice qui récite un rôle fraîchement répété :

— On fera la même chose que la dernière fois ?… Chic !

Sans gêne, elle s’empara du bras de Schwartzmann ; tandis que René, ouvrant la marche, guidait ses compagnons à travers les rues désertes. Le gros Fischer manœuvra adroitement, afin de rester un peu en arrière avec Luce Février. Il dévorait des yeux la silhouette preste et svelte de la jeune fille. Hermann éprouvait l’attraction habituelle des hommes gras et grands vers les femmes mignonnes ; et le goût des northmen pour les grâces latines. Il s’était formé, à l’égard des jolies personnes, une opinion peu compliquée : estimant que la beauté est un capital et que tout capital est exploité. Hermann décrétait, dans sa psychologie rudimentaire d’industriel, qu’aucune créature séduisante ne reste insensible aux tentations pécuniaires. Il projetait donc d’inciter la jeune capitaliste qui trottinait près de lui à opérer un virement de fonds en sa faveur ; et son départ imminent le déterminait à brusquer les choses.

Il interrogea subitement :

— Vous aimez votre ami, Mademoiselle ?

Luce sourit, amusée par cette indiscrétion sans nuance des étrangers qui ne savent pas arranger leurs phrases. Elle répliqua :

— Si je ne l’aimais point, pourquoi serais-je son amie ?

Hermann médita cette réponse, en se penchant un peu pour apercevoir la figure de Luce qui traversait la raie lumineuse d’un réverbère. Puis, il dit, avec sa brutalité inconsciente :

— Il ne vous donne pas d’argent…

Luce eut un mouvement d’indignation gouailleuse. Hermann poursuivait, très naturel :

— Voulez-vous être aussi mon amie ?… Vous ne le regretterez pas… J’espère.

Luce, qui riait moqueusement, fit non de la tête. Hermann insista :

— C’est pour ne pas tromper René ?… Mais il ne le saurait pas.

Luce, énervée, eut une idée baroque. Elle riposta avec flegme :

— Oh ! mon Dieu, non. Ce n’est pas pour ça… J’ai une autre raison ; seulement, si je vous la dis, je risque de vous vexer.

— Non. Je préfère que vous disiez.

— Eh bien… c’est un peu délicat… Vous avez sans doute entendu parler de la répugnance extrême que les Jaunes éprouvent à approcher un Européen : ils prétendent que nous sentons le mort… La cohabitation intime avec un blanc est pour eux une cause de malaise. Or, moi… voilà… Je ressens une impression analogue. Trahir René… ma foi, cela me semble improbable ; néanmoins, je suis femme et ne dois