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ancien, et adressa des paroles cordiales aux Fischer, après la présentation. Néanmoins, elle ne put marquer une sympathie sincère à Caroline. Devant l’étrangère mastoc dont le mauvais goût évident lui causait un malaise insurmontable, la jeune fille eut soudain la révélation précise de cet antagonisme des races nié par René : non, cette Allemande de sa classe qui s’habillait comme dans les caricatures de Hansi, était bien moins sa semblable que Léonie, la petite femme de chambre parisienne de Jacqueline, qui copiait le genre de sa maîtresse, — telle une silhouette en tablier.

De son côté, Caroline examinait cette Française fringante avec une curiosité admirative mêlée de défiance. Car le jugement des femmes est surtout influencé par les impressions extérieures.

Et les deux jeunes filles dressées face à face, dans une attitude de réserve craintive, évoquaient la rencontre d’un beau sloughi d’Afrique et d’un dogue de boucher : les deux animaux se flairent d’abord avec méfiance ; le lévrier fronce dédaigneusement ses babines devant son frère vulgaire ; l’autre regarde d’un œil injecté cette longue bête précieuse perchée sur ses pattes fragiles ; puis, chacun s’en va prudemment, devinant qu’il n’est point fait pour s’apparier au compagnon d’aventure.

Dans ces occasions-là, les bêtes ont plus de sagacité que les hommes.

— Que pensez-vous de Paris, Mademoiselle ? demanda enfin Jacqueline.

Cette question banale fut le prodrome d’une conversation animée. Caroline Fischer s’illumina soudain pour répliquer :

— C’est une ville gaie ; les magasins sont presque autant beaux qu’à Berlin. Et nous avons été déjeûner au Bois de Boulogne ; c’est un beau parc, mais il n’a pas de monuments statuaires.

— Paris est un lieu malpropre, déclara brutalement Schwartzmann. La populace semble prendre le trottoir pour un égout : chacun y jette les inutilités qui l’embarrassent ; les concierges y balayent leurs immondices ; les passants circulent de manière désordonnée et s’y bousculent comme au football ; les voyous viennent crier ou siffler dans vos oreilles, tandis que les camelots achèvent de vous assourdir. La publicité excessive de certains commerçants encombre les boulevards à tel point que l’on doit s’arrêter ainsi qu’au passage d’un régiment, afin de laisser défiler une procession d’hommes tortues qui portent sur leur dos une pancarte vous promettant des attractions plus ou moins obscènes. Et les agents de police sont placés là pour contempler bénévolement ces spectacles. Si vraiment les villes reflètent l’âme des foules, les Parisiens doivent posséder la mentalité des écoliers en rébellion qui bouleversent le collège sous les yeux d’un maître impuissant, pour prouver leur indépendance. Ils réclament toutes les licences, au nom de la liberté… Je ne suis à l’Hôtel Continental que depuis cinq jours ; mais, d’après ce rapide aperçu, je présume que Paris ne me charmera guère… Si vous voyiez Berlin, notre noble et paisible capitale, où la vie de la cité coule avec la majesté régulière d’un grand fleuve… Vous seriez transporté de bien-être.

Michel Bertin repartit doucement :

— En effet, Monsieur… Il est probable que si j’allais vous voir un jour à Berlin, je ne vous parlerais que de ses agréments.

Hans Schwartzmann eut ce geste machinal — un tic fameux, bien connu de ses familiers, — qui ponctuait chacune de ses tirades : il retira son lorgnon