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dut, seul, faire les honneurs du logis aux hôtes exécrés.

Le hasard se plaît à nous lancer de ces chiquenaudes. Le vieillard s’avança au-devant de Schwartzmann avec la majesté sévère d’un vieux soldat contraint de se rendre ; mais cette attitude outrancière était corrigée par l’instinct de politesse qui nous pousse à sourire à ceux qui franchissent le seuil de notre porte. Michel Bertin eut un rictus embarrassé en désignant des fauteuils aux amis de son petit-fils ; il pensa : « Que le temps semble long, parfois !… Combien de siècles vais-je passer en compagnie de ces gens-là ? » Il examina sans bienveillance Hans Schwartzmann assis correctement, le coude appuyé au bras du fauteuil, la jambe avancée découvrant un grand pied bien chaussé ; Hermann Fischer, tassé mollement dans une bergère comme une motte de beurre sur une assiette ; et Caroline, qui avait gardé sans façon sa jupe de voyage en lainage vert, mais orné son buste copieux d’un corsage extravagant, une blouse de satin d’un bleu criard où courait du galon multicolore.

Puis, le silence risquant de passer la limite permise, Michel Bertin finit par murmurer :

— Excusez ma petite fille ; elle vous fait vraiment attendre… elle s’habille.

Caroline manifesta un brusque assentiment :

— Oh ! c’est si naturel.

Hermann appuya, goguenard :

— Ma sœur met tant de retard à paraître quand nous avons réception que, lorsqu’elle entre au salon, les invités ont déjà descendu l’escalier pour aller se coucher.

Sans s’irriter, la grosse fille répondit d’une voix placide :

— On ne peut pas se montrer aux visiteurs dans le costume où on aide les servantes, Hermann.

Michel Bertin s’égaya malgré lui, en comprenant que cette jeune fille candide s’imaginait Jacqueline sous les apparences d’une diligente ménagère, traînant toute la journée en camisole et en savates pour vaquer aux basses besognes qu’il est si simple de laisser faire à ses domestiques. Au même moment, l’entrée de sa petite-fille offrait un vivant démenti à ces suppositions.

Jacqueline était ravissante : elle portait une robe de tulle rose pâle, bordée de cygne, et la tonalité de l’étoffe vaporeuse se fondait avec sa chair de blonde si bien que l’on ne savait au juste où s’arrêtait le décolletage qui dégageait sa nuque frêle et son cou fluet. Ses cheveux à peine ondulés l’auréolaient de lumière dorée. Elle s’était parée avec une minutie particulière, avec cette recherche discrète et presque inaperçue des coquettes raffinées : elle n’avait point de bagues, mais ses ongles étaient émaillés ; sa robe très simple mettait en valeur son corps de vingt ans ; et son miroir aurait pu dire en combien d’heures avait été agencée, préparée, recommencée, la coiffure pseudo-négligée qui partageait, sur son front et sur ses oreilles, les sinuosités de ses bandeaux légers.

Michel Bertin se sentit flatté à la vue de sa petite-fille, fier de constater combien elle concevait et possédait l’élégance, cette seconde beauté. Puis, une pensée le rembrunit : tous ces soins, ces fanfreluches, étaient dédiés aux intrus ; le grand-père était mécontent que Jacqueline les eût honorés au point de s’efforcer visiblement de leur plaire.

Jacqueline apporta beaucoup d’aisance à rompre la glace. Elle accueillit Schwartzmann ainsi qu’un ami déjà