Page:Manuel d’Épictète, trad. Joly, 1915.djvu/59

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ment sage ! De cette manière, tu ne te plaindras jamais des dieux ; tu ne les accuseras pas de n’avoir pas souci de toi.

2. Mais tu ne peux en venir là que si, regardant comme indifférentes les choses qui ne dépendent pas de toi, tu juges ou bonnes : ou mauvaises celles-là seulement qui dépendent de toi. Car si tu prends quelqu’une des premières pour un bien ou pour un mal, il est de toute nécessité que, frustré de ce que tu désires et frappé de ce que tu craignais, tu n’accuses et ne haïsses les auteurs de tout ce qui arrive.

3. En effet, tout animal a reçu de la nature une disposition, d’abord à fuir et à éviter toutes les choses qui lui paraissent nuisibles, et tout ce qui peut amener ces choses mêmes, puis à rechercher et à aimer tout ce qui lui est agréable et tout ce qui peut lui procurer du plaisir. Il est donc impossible que celui qui se croit lésé aime celui qui lui paraît être l’auteur de son dommage, pas plus qu’il n’aime son dommage même.

4. C’est là ce qui fait qu’un enfant s’emporte même contre son père, quand il n’obtient pas de lui quelqu’une des choses qui passent pour des biens. De là venait l’inimitié de Polynice et d’Étéocle : car ne vint-elle pas de ce qu’ils regardaient tous les deux la tyrannie comme un bien ? De là les rumeurs, les plaintes que nous entendons élever contre les dieux par le laboureur, par le matelot, par le marchand, par tous ceux qui ont perdu leurs enfants ou leur femme : car là où est l’intérêt, là est la piété 2. Celui donc qui s’applique à régler convenablement ses désirs et ses aversions travaille par cela même à perfectionner sa piété.

5. Pour les libations, les sacrifices, les prémices aux dieux, il faut les offrir suivant les coutumes de son pays, avec un cœur pur, sans retard et sans négligence, sans avarice et sans dépasser ses moyens.


2. Épictète veut dire qu’en fait les hommes subordonnent leur piété à leurs intérêts. Ne peut-on comparer ce passage au verset de l’Evangile (S. MATTHIEU, vi, 21) : « Là où est votre trésor, là est aussi votre cœur. »