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manuel d’épictète

XVII

la vie humaine comparée à un théâtre.


Souviens-toi que tu es acteur dans une comédie, celle qui plaît au maître[1] : s’il la veut longue, joue-la longue ; si courte, joue-la courte : s’il veut que tu joues le rôle d’un pauvre, joue-le avec grâce ; de même si c’est celui d’un boiteux, d’un magistrat, d’un plébéien. Car c’est ton fait de bien jouer le rôle qui t’est donné ; mais le choisir, c’est le fait d’un autre[2].


    l’âme ; or, le sage ne doit chercher en toutes choses que la raison, il bannira donc la pitié : Ἔλεος εἶναι πάθος καὶ συστολὴν ἄλογον (Diog. Laërt., in Zenon.). — Succurret, dit Sénèque, non miserebitur.

  1. Sénèque, Epist. 77 : Quomodo fabula, sic vita ; non quamdiu, sed quam bene acta sit, refert. Nihil ad rem pertinet, quo loco desinas. Quocumque voles desine : tantum bonam clausulam impone. — Cf. Marc-Aurèle, XII, 36. « Ô homme, tu as été citoyen dans la grande cité (le monde) ; que t’importe de l’avoir été pendant cinq ou pendant trois années ?… C’est comme quand un comédien est congédié du théâtre par l’entrepreneur qui l’y avait engagé. — Eh ! je n’ai pas joué les cinq actes, je n’en ai joué que trois ! — Tu dis bien ; mais dans la vie trois actes font la comédie complète… Va-t’en donc avec un cœur paisible ; celui qui te congédie est sans colère. » — Cf. Bossuet, Sermon sur la mort : « J’entre dans la vie avec la loi d’en sortir, je viens faire mon personnage, je viens me montrer comme les autres ; après, il faudra disparaître. J’en vois passer devant moi, d’autres me verront passer ; ceux-là donneront à leurs successeurs le même spectacle, et tous enfin viendront se confondre dans le néant. Je ne suis venu que pour faire nombre ; encore n’avait-on que faire de moi, et la pièce ne se serait pas moins bien jouée si j’étais demeuré derrière le théâtre. »
  2. Est-il bien vrai que des rôles tout faits soient ainsi distribués à chaque homme ? Ces théories fatalistes, adoptées avec empressement par Pascal, ne semblent-elles pas arrêter l’initiative humaine ? En fait, chacun se donne ici-bas son rôle, et ce sont les hommes eux-mêmes qui, en s’associant, arrangent comme ils l’entendent la grande comédie humaine. On ne remplit bien que le rôle qu’on accepte ; on remplit mieux encore celui qu’on crée.