Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
MANUEL D’ÉPICTÈTE.

III

on doit examiner la nature de chaque objet
dont on se sert.


Devant chacun des objets qui attirent l’âme, ou qui apportent avec eux une utilité, ou qui se font chérir, souviens-toi de te demander quelle est la nature de cet objet. Commence par les petites choses, et si tu aimes un vase d’argile, dis : — C’est un vase d’argile que j’aime — ; car, s’il se brise, tu n’en seras pas troublé[1]. Si tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis : — C’est un être humain que j’embrasse — ; car, s’il meurt, tu n’en seras pas troublé[2].


    prêt à retrancher, à excepter de ses désirs (ὑπεξαιρεῖσθαι) tout ce qui dans les événements pourrait ne pas y être conforme : nous devons en quelque sorte modeler nos désirs sur la nature même des choses ; les choses extérieures sont variables, accidentelles, passagères : nous devons rendre nos désirs prêts à varier, à changer, à passer comme elles. Ne dites donc pas : J’irai là, absolument parlant ; mais : J’irai là, si rien ne m’empêche. En prévoyant ainsi les obstacles et les sujets de déception, on les évite : car un obstacle prévu et voulu par moi n’en est plus un pour moi ; une déception attendue n’en est pas une. — Dans un seul cas, l’exception n’est plus de mise : c’est quand il s’agit des choses qui dépendent de nous ; alors il nous est permis de vouloir absolument et sans condition ; car vouloir, ici, c’est pouvoir.

  1. Allusion au corps, ce « vase fragile » dans lequel l’âme est enfermée (v. les Entretiens d’Épictète et les Pensées de Marc-Aurèle). « Le premier moyen, dit Épictète dans les Entretiens, le moyen le meilleur, le moyen souverain, celui qui est la clé de tout, pour ainsi dire, c’est de ne s’attacher à personne que comme à une chose qui peut nous être enlevée, comme à une chose qui est de la même nature que les vases d’argile et les coupes de verre. Que le vase se brise, et, nous rappelant ce qu’il était, nous ne nous troublerons pas. De même ici, quand tu embrasses ton enfant, ton frère, ton ami, ne te livre jamais tout entier à ton impression, ne laisse jamais ton bonheur aller aussi loin qu’il le voudrait ; mais tire en arrière, et modère-le ; fais comme ceux qui marchent derrière le triomphateur, et qui l’avertissent qu’il est homme. »
  2. Il est sans doute « naturel » qu’un vase, étant fragile, se brise, et qu’un homme, étant mortel, meure. Mais reste à savoir si ce qui