Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/228

Cette page a été validée par deux contributeurs.
154
EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

proconsul du Cynique, si ce n’est celui qui l’a envoyé, celui dont il est le serviteur, Jupiter lui même ? En appelle-t-il à un autre que ce Dieu ? N’est-il pas convaincu, quoi qu’il lui arrive de tout cela, que c’est Jupiter qui l’exerce ? Hercule, quand Eurystée l’exerçait ainsi, ne se tenait pas pour malheureux, et s’empressait d’exécuter tout ce qui lui était ordonné. Et cet homme, que Jupiter éprouve et exerce, pourrait crier et s’indigner ! Comme il serait bien digne de porter le sceptre de Diogène ! Écoute ce que ce dernier, tout enfiévré, dit aux passants : « Méchants individus, leur criait-il, ne resterez-vous pas là ? Pour voir mourir ou lutter des athlètes, vous vous en allez bien loin, jusqu’à Olympie ; et vous ne voulez pas voir la lutte d’un homme contre la fièvre ! » Et c’est un tel homme, n’est-ce pas, qui aurait reproché au Dieu qui l’avait envoyé de le traiter injustement, lui qui tirait gloire des épreuves, et qui se jugeait digne d’être un spectacle pour les passants ! De quoi se serait-il plaint, en effet ? De la dignité qu’il conservait ? Quel grief aurait-il fait valoir ? L’éclat plus grand que recevait sa vertu ?…

— Le Cynique, demanda-t-on à Épictète, doit-il essentiellement se marier et avoir des enfants ? — Si vous me donnez une cité de sages, répondit-il, il est possible que personne n’y prenne de lui-même la profession de Cynique. Car en faveur de qui y embrasserait-on un tel genre de vie ? Supposons cependant que quelqu’un le fasse, rien ne l’y empêchera de se marier et d’avoir des enfants, car sa femme, son beau-père, seront d’autres lui-même, et ses enfants seront élevés dans les mêmes principes. Mais dans l’état actuel des choses, et sur ce champ de bataille, ne faut-il pas que rien ne vienne tirer le Cynique en d’autres sens, pour qu’il puisse être tout entier à son divin ministère ? Ne faut-il pas qu’il puisse aller trouver les gens, sans être lié par les obligations des hommes ordinaires, sans être engagé dans des relations sociales, dont il lui faut tenir compte s’il veut rester dans son rôle d’honnête homme, et qu’il ne saurait respecter sans détruire en lui l’apôtre, le surveillant, le héros envoyé par la divinité ? Regarde : il lui faut faire certaines choses pour son beau-père, s’acquitter de certains devoirs envers les autres parents de sa femme, et envers sa femme elle-même. Le voici désormais