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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

que doit être un promeneur ; si tu es convenable ayant la fièvre, tu es ce que doit être un fiévreux.

Qu’est-ce donc qu’être convenable en ayant la fièvre ? C’est de ne t’en prendre ni à Dieu ni aux hommes ; c’est de ne pas te désoler de ce qui arrive ; c’est d’attendre dignement et convenablement la mort ; c’est de faire tout ce que l’on t’ordonne ; c’est de ne pas t’effrayer de ce que va dire le médecin quand il arrive, et de ne pas te réjouir outre mesure quand il te dit : « Tu te portes bien. » Qu’est-ce là, en effet, te dire de bon ? car, lorsque tu te portais bien, qu’y avait-il là de bon pour toi ? C’est encore de ne pas te désespérer, quand il te dit : « Tu te portes mal. » Qu’est-ce, en effet, que se mal porter ? Approcher du moment où l’âme se sépare du corps. Qu’y a-t-il donc là de terrible ? Est-ce que, si tu n’en approches pas maintenant, tu n’en approcheras pas plus tard ? Est-ce encore que le monde doit être bouleversé par ta mort ? Pourquoi donc flattes-tu le médecin ? Pourquoi lui dis-tu : « Si tu le veux, maître, je serai en bonne santé ? » Pourquoi lui donner un motif de porter haut la tête ? Pourquoi ne pas l’estimer juste ce qu’il vaut ? Le cordonnier est pour mon pied, le charpentier pour ma maison, et le médecin, à son tour, pour mon misérable corps, c’est-à-dire pour quelque chose qui n’est pas à moi, pour un être mort-né. Voilà ce qu’a à faire le fiévreux ; et, s’il le fait, il est ce qu’il doit être.

LIV

« Ils viennent des dieux. »

— Souviens-toi toujours de ce qu’Eumée dit, dans Homère, à Ulysse, qui ne le reconnaissait point et qui le remerciait de ses bons traitements. « Étranger, il ne m’est pas permis de mépriser, de maltraiter un étranger qui vient chez moi, quand même il serait dans un état plus vil et plus méprisable que celui où vous êtes, car les étrangers et les pauvres viennent des dieux[1]. » Aie ces vers à l’esprit, quand il s’agit de ton père, et dis-lui :

  1. Homère, Odyssée, XIV, 56.