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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

sements ceux qui seront plus forts que toi ; tu chercheras le bonheur hors de toi, et tu ne pourras jamais le trouver.

XLI

Utilité de la philosophie. — La philosophie et la médecine.

L’orateur Théopompe[1] reprochait à Platon de vouloir tout définir. « Est-ce que personne avant toi, disait-il, n’a parlé du bien et de la justice ? Ou bien ne prononcions-nous là que des mots creux et sans signification, faute de comprendre ce qu’étaient les choses ? » Eh ! qu’est-ce qui te soutient, Théopompe, que nous n’avons point sur chacune de ces choses des notions naturelles ? Mais il est impossible d’appliquer aux objets ces notions naturelles, si l’on n’a commencé par les éclaircir, et par examiner quels sont les objets qu’il faut ranger sous chacune d’elles.

On pourrait, en effet, adresser le même reproche aux médecins. Qui de nous ne parlait pas de ce qui est sain et de ce qui est nuisible, avant la venue d’Hippocrate ? Ou n’étaient-ce là que de vains sons que nous émettions ? Nous avons une notion naturelle de ce qui est sain, mais nous ne savons pas l’appliquer. C’est pour cela que l’un dit : « Lève-le ; » un autre : « Donne-lui à manger ; » un autre : « Saigne-le ; » un autre : « Mets-lui les ventouses. » Quelle en est la cause, sinon que nous ne savons pas appliquer convenablement aux objets particuliers notre notion naturelle de ce qui est sain ?

Il en est de même ici. Qui de nous ne parle de ce qui, dans la vie, est un bien ou un mal, utile ou nuisible ? Mais l’un n’applique-t-il pas la notion du bien à la richesse, et l’autre non ? N’en est-il pas de même pour le plaisir ? De même pour la santé ?

Mais qu’ai-je besoin de rapporter et de rappeler ici les discussions des hommes entre eux ? A te prendre seul, si tu appliques si bien tes notions naturelles, pourquoi es-tu malheureux ? Pourquoi rencontres-tu des obstacles ?

  1. Théopompe, de Chio, historien et orateur, disciple d’Isocrate.