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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

partie du jour ; il faut que je vienne, comme vient l’heure, et que je passe comme elle passe. Que m’importe alors de quelle façon je passerai ! Que ce soit par l’eau ou par la fièvre ! Il faut bien en effet que ce soit par quelque chose de ce genre.

C’est ce que tu verras faire encore à ceux qui savent jouer à la paume. La différence entre eux ne tient pas à ce que la balle est bonne ou mauvaise, mais à leur façon de la lancer et de la recevoir. Il y aura là bien jouer, habileté, promptitude, coup d’œil, si je reçois la balle sans tendre ma robe, et si l’autre la reçoit quand je la lance. Mais si c’est avec désordre et appréhension que nous la lançons ou la recevons, que deviendra le jeu ? Qu’est-ce qui y gardera son sang-froid ?

Nous aussi, nous devons mettre dans notre jeu toute l’attention d’un joueur consommé ; mais en même temps nous devons y être indifférents, comme on l’est pour la balle. Toujours, en effet, nous avons à déployer notre talent à propos de quelque objet extérieur, mais sans lui accorder de valeur, et uniquement pour faire montre de notre talent à propos de lui, quel qu’il soit d’ailleurs. C’est ainsi que le tisserand ne fait pas sa laine, mais qu’il déploie son talent sur celle qu’on lui a donnée, quelle qu’elle puisse être. C’est un autre qui te donne tes aliments et ta fortune ; il peut te les enlever, aussi bien que ton corps. Ce sont des matériaux que tu reçois ; mets-les en œuvre.

XXX

La mort est la maturité de la vie.

Pourquoi naissent les épis ? N’est-ce pas pour durcir ? Et pourquoi durcissent-ils, si ce n’est pour être coupés ? car ils ne sont pas isolés dans la nature. S’ils avaient la pensée, devraient-ils donc souhaiter de n’être jamais coupés ? Ce serait chez les épis un désir impie, que celui de n’être jamais coupés. Sachons qu’à leur exemple c’est dans l’homme un désir impie, que celui de ne jamais mourir. Il est ce que serait le souhait de ne jamais mûrir,