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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

qu’un pour qu’il voie clair[1] ? Et si l’on disait cela à un homme qui ne saurait rien de la médecine, ne rirait-il pas au nez de celui qui le lui dirait ? Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que dans la philosophie aussi il y ait des vérités qui paraissent des paradoxes à ceux qui ne s’y connaissent pas ?

XXIV

De la force morale. — Le philosophe dans la prison. — Les gladiateurs demandant à combattre.

— Vous enseignez donc, philosophes, à mépriser les rois ? — A Dieu ne plaise ! Car qui de nous enseigne à leur disputer ce qui est en leur pouvoir ? Prends mon corps, prends ma fortune, prends ma réputation, prends les miens. Si je conseille à quelqu’un de s’attacher à ces objets, accuse-moi alors à bon droit. — Oui, mais je veux aussi commander à tes convictions. — Qu’est-ce qui t’en a donné le pouvoir ? Comment pourrais tu triompher des convictions d’un autre ? — J’en triompherai bien, dis-tu, en lui faisant peur. — Ignores-tu qu’elles triomphent d’elles-mêmes, mais que personne ne triomphe d’elles ? Nul ne peut triompher de notre libre arbitre, si ce n’est lui-même. C’est à cause de cela que Dieu a établi cette loi toute-puissante et toute juste : « Que le plus fort l’emporte toujours sur le plus faible. » Dix sont plus forts qu’un seul. Mais quand il s’agit de quoi ? Quand il s’agit de garrotter, de tuer, d’entraîner de force où l’on veut, d’enlever aux gens ce qu’ils possèdent. Dix triomphent donc d’un seul sur le terrain où ils sont plus forts que lui ? — Mais est-il un terrain où ils soient les plus faibles ? — Oui, celui des convictions, si les siennes sont fondées, et les leurs non[2].

— Socrate a-t-il bien pu être traité par les Athéniens comme il l’a été ? — Esclave ! que parles-tu de Socrate ? Dis la chose comme elle est : « Se peut-il que le corps de Socrate ait été conduit et traîné en prison par ceux qui étaient plus forts que lui ? Se peut-il qu’on ait donné de

  1. C’est l’opération de la cataracte.
  2. C’est de force morale qu’il s’agit dans ce dernier cas.