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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

XVII

La philosophie comparée à l’art des devins.

Ce n’est pas pour le philosophe lui-même que nous avons besoin du philosophe, mais pour comprendre la nature[1]. Nous n’allons pas trouver le devin pour l’amour de lui-même, mais parce que nous croyons apprendre par lui l’avenir, et ce que présagent les dieux. Ce n’est pas non plus pour l’amour d’elles-mêmes que nous allons regarder les entrailles, mais pour ce qu’elles présagent. Ce n’est ni le corbeau ni la corneille que nous honorons ; c’est le Dieu qui nous avertit par eux.

Je vais trouver celui qui explique tout cela, le devin, et je lui dis : « Examine pour moi les entrailles ; que me présagent-elles ? » Il les prend, les ouvre, les interprète, et me répond : « homme, tu as en toi une faculté de juger et de vouloir, dont la nature est de ne pouvoir être entravée ni contrainte ; voilà ce qui est écrit ici, dans ces entrailles. Je te le montrerai d’abord au sujet du jugement. Quelqu’un peut-il t’empêcher d’adhérer à la vérité ? — Personne. — Quelqu’un peut-il te forcer à recevoir pour vrai ce qui est faux ? — Personne. — Vois-tu que sur ce terrain ton libre arbitre est au-dessus de toute entrave, de toute contrainte, de tout empêchement ? Eh bien ! sur le terrain du désir et de la volonté, en est-il autrement ? Qu’est-ce qui peut triompher d’une volonté si ce n’est une autre volonté ? D’un désir ou d’une aversion, si ce n’est un autre désir ou une autre aversion ? — Mais, dis-tu, si tu emploies la crainte de la mort, tu me contraindras. — Ce n’est pas ce que j’emploierai qui te contraindra, mais c’est que tu juges qu’il vaut mieux faire telle chose que de mourir. C’est donc ton jugement qui t’aura contraint, c’est-à-dire que c’est ton libre arbitre qui aura contraint ton libre arbitre. Car, si Dieu eût fait que cette partie spéciale, qu’il a détachée de lui-même pour nous la donner, pût être contrainte par lui ou par

  1. V. le Manuel, xxx.