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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

dans chaque homme la vie de cet homme même. Que dire donc de la vie de ton frère ? Elle relève de son savoir-faire à lui ; mais, par rapport au tien, elle est au nombre des choses extérieures, ainsi que l’est un champ, ainsi que l’est la santé, ainsi que l’est la gloire. Or, sur toutes ces choses, la philosophie ne s’engage à rien. — Comment donc faire pour que mon frère ne soit plus irrité contre moi ? — Amène-le-moi, et je lui parlerai ; mais je n’ai rien à te dire, à toi, au sujet de sa colère.

Celui qui le consultait ajouta : « Je te demande encore comment je pourrai me conformer à la nature, au cas où mon frère ne se réconcilierait pas avec moi. » Il lui répondit : — Aucune chose considérable ne se produit en un instant, pas plus que le raisin et les figues. Si tu me disais maintenant : je veux une figue, je te dirais : il faut du temps ; laisse l’arbre fleurir, puis les fruits y venir et mûrir. Et, lorsque le fruit du figuier n’arrive pas à sa perfection d’un seul coup et en un instant, tu voudrais cueillir si facilement et si vite les fruits de la sagesse humaine ! Je te dirai, ne l’espère pas.

XV

L’hymne à Dieu.

Si nous avions le sens droit, quelle autre chose devrions-nous faire, tous en commun et chacun en particulier, que de célébrer Dieu, de chanter ses louanges, et de lui adresser des actions de grâces ? Ne devrions-nous pas, en fendant la terre, en labourant, en prenant nos repas, chanter l’hymne à Dieu ? mais ce pour quoi nous devrions chanter l’hymne le plus grand, le plus à la gloire de Dieu, c’est la faculté qu’il nous a accordée de nous rendre compte de ces dons, et d’en faire un emploi méthodique. Eh bien ! puisque vous êtes aveugles, vous le grand nombre, ne fallait-il pas qu’il y eût quelqu’un qui remplît ce rôle, et qui chantât pour tous l’hymne à la divinité ? Que puis-je faire, moi, vieux et boiteux, si ce n’est de chanter Dieu ? Si j’étais rossignol, je ferais le métier d’un rossignol ; si j’étais cygne, celui d’un cygne. Je suis un être raisonnable ; il me faut