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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

effet, ce qu’on peut tirer de soi-même, il est bien inutile et bien sot de le recevoir d’un autre. Quoi ! je puis tenir de moi-même la grandeur d’âme et la générosité, et je recevrais de toi des terres, de l’argent, du pouvoir ? Aux dieux ne plaise ! Je ne méconnaîtrai pas ainsi ce qui est à moi !

XI

Contre ceux qui à Rome cherchent les honneurs.

Si nous mettions à l’accomplissement de notre devoir l’ardeur que mettent les vieillards de Rome à ce qu’ils ambitionnent, nous arriverions vite à quelque résultat, nous aussi. Je connais un homme plus âgé que moi, qui est actuellement préfet de l’annone, à Rome. Quand il passa par ici, en revenant de l’exil, que ne me dit-il pas ! Il blâmait fort sa vie passée, et il promettait, pour l’avenir, qu’une fois rentré à Rome il ne s’occuperait jamais d’autre chose que de couler le reste de ses jours dans la tranquillité et dans le calme. « Qu’ai-je en effet à vivre encore (disait-il) ? Et moi je lui répondais : « Vous n’en ferez rien. À peine aurez-vous seulement senti Rome, que vous oublierez toutes ces résolutions, et si l’entrée de la cour vous est ouverte, vous vous y précipiterez tout joyeux, en rendant grâce aux dieux. » — « Épictète, me répliquait-il, si tu me vois mettre le pied à la cour, pense de moi ce que tu voudras. » Et maintenant qu’a-t-il fait ? Avant d’arriver à la ville, il reçut en chemin des lettres de César. Dès qu’il les eut, il oublia toutes ses paroles, et depuis il a accumulé emplois sur emplois. Je voudrais maintenant le rencontrer pour lui rappeler les propos qu’il tenait quand il est passé par ici, et lui dire : « Combien j’étais meilleur prophète que toi ! »

Quoi donc ! est-ce que je prétends que l’homme n’est pas né pour l’action ? à Dieu ne plaise ! Mais alors pourquoi ne sommes-nous pas plus actifs, moi, tout le premier, qui, lorsque le jour se lève, me remémore un moment ce que j’ai à relire, puis me dis aussitôt après : « Que m’importe ce que vaudra la lecture d’un tel ! La première chose