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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

autre casse une coupe, te voilà prêt à dire : « C’est un accident ordinaire. » Sache donc que, si on te casse la tienne, il faut te montrer tel que tu étais quand celle de l’autre a été cassée. Transporte ce précepte aux actions plus importantes. Le fils d’un autre est mort, ou sa femme ? il n’est personne qui ne dise : « C’est chose humaine ! » Mais chacun, quand son propre fils est mort, s’écrie aussitôt : « Hélas ! malheureux que je suis ! » Il faudrait se rappeler quels sentiments nous éprouvons en apprenant que les mêmes maux sont arrivés à d’autres[1].


XXVII

le but du monde


Comme on ne place pas un but pour le manquer, de même l’essence du mal n’existe pas dans le monde[2].


XXVIII

la prostitution de l’âme


Si quelqu’un livrait ton corps au premier qui s’offre, tu t’indignerais ; mais toi, ta propre intelligence, tu la

  1. N’y a-t-il pas cette différence, que nous aimons d’un amour particulier et vraiment personnel ceux qui nous sont unis, tandis que nous aimons les autres hommes d’un amour impersonnel ?
  2. Le but en vue duquel a été créé le monde, c’est la réalisation du bien : pour que le mal existât, il faudrait que Dieu ou la Nature, après avoir posé ce but à ses efforts, l’eût manqué : ce qui est impossible à la cause toute-puissante. Le mal n’existe donc pas dans le monde, selon les stoïciens ; s’il existe, c’est dans notre imagination qui prend la douleur et la mort pour des maux ; mais la raison et la volonté, en redressant l’imagination, suppriment ce mal intérieur à nous : elles suppriment donc tout mal. L’homme moral justifie Dieu.