Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
SANS FAMILLE

la pleine lune qui venait de se lever, montait doucement au ciel. Cette soirée était pour nous d’autant plus douce que la journée avait été brûlante.

— Veux-tu dormir ? me demanda Vitalis, ou bien veux-tu que je te conte l’histoire du roi Murat ?

— Oh ! l’histoire du roi, je vous en prie.

Alors il me raconta longuement cette histoire, et pendant plusieurs heures nous restâmes sur notre banc ; lui, parlant ; moi, les yeux attachés sur son visage, que la lune éclairait de sa pâle lumière.

Eh quoi, tout cela était possible ; non-seulement possible, mais encore vrai !

Je n’avais eu jusqu’alors aucune idée de ce qu’était l’histoire. Qui m’en eût parlé ? Pas mère Barberin, à coup sûr ; elle ne savait même pas ce que c’était. Elle était née à Chavanon, et elle devait y mourir. Son esprit n’avait jamais été plus loin que ses yeux. Et pour ses yeux l’univers tenait dans le pays qu’enfermait l’horizon qui se développait du haut du mont Audouze.

Mon maître avait vu un roi ; ce roi lui avait parlé.

Qu’était donc mon maître, au temps de sa jeunesse ?

Et comment était-il devenu ce que je le voyais au temps de sa vieillesse ?

Il y avait là, on en conviendra, de quoi faire travailler une imagination enfantine, éveillée, alerte et curieuse de merveilleux.