Page:Mercure de France - 1890 - Tome 1.djvu/184

Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
MERCURE DE FRANCE

épaisse causa un somme dans le ciel, elle tira le rideau de sa croisée et regarda à travers les obscurités plates. Elle dit uniquement : « La nuit est morne, il ne vient pas », dit-elle ; elle dit : « Je suis lasse, lasse, je voudrais être morte ! »


Sur le milieu de la nuit, elle entendit l’oiseau de nuit crier, veillant ; le coq chanta une heure avant la lumière ; du marais sombre, la voix des bœufs vint à elle : sans espoir de changement dans le sommeil, il lui sembla marcher abandonnée, jusqu’à ce que des vents froids éveillèrent les yeux gris du matin près de la grange solitaire du fossé. Elle dit uniquement : « Le jour est morne, il ne vient point », dit-elle ; elle dit : « Je suis lasse, lasse, je voudrais être morte ! »


À un jet de pierre environ du mur dormait une vanne à eau noircie ; et au-dessus, nombreuses, rondes et petites, rampaient les mousses des marais par grappes. Un peuplier, fort près, remuait toujours, tout vert argenté à noueuse écorce. À des lieues, nul autre arbre ne marquait l’espace nivelé, les environs gris. Elle dit uniquement : « Ma vie est morne, il ne vient jamais » ‚ dit-elle ; elle dit : « Je suis lasse, lasse, je voudrais être morte ! »


Et toujours, quand baissa la lune et que les vents aigus se levèrent, haut et loin, dans le rideau blanc elle vit d’ici à là l’ombre secouée se balancer. Mais quand la lune fut très bas et les sauvages vents, liés dans leur prison, l’ombre du peuplier tomba sur le lit, par dessus son front.