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FRANÇOIS DE MALHERBE


Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes !
C’est un point arrêté, que tout ce que nous sommes,
Issus de pères rois et de pères bergers,
La Parque également sous la tombe nous serre ;
Et les mieux établis au repos de la terre
 N’y sont qu’hôtes et passagers.

Tout ce que la grandeur a de vains équipages,
D’habillements de pourpre et de suite de pages.
Quand le terme est échu, n’allonge point nos jours ;
Il faut aller tout nus où le destin commande ;
Et de toutes douleurs la douleur la plus grande,
 C’est qu’il faut laisser nos amours :

Amours qui, la plupart infidèles et feintes,
Font gloire de manquer à nos cendres éteintes,
Et qui, plus que l’honneur estimant les plaisirs,
Sous le masque trompeur de leurs visages blêmes,
Acte digne du foudre ! en nos obsèques mêmes
 Conçoivent de nouveaux désirs.

Elles savent assez alléguer Artémise,
Disputer du devoir et de la foi promise :
Mais tout ce beau langage est de si peu d’effet,
Qu’à peine en leur grand nombre une seule se treuve
De qui la foi survive, et qui fasse la preuve
 Que ta Carinice te fait.

Depuis que tu n’es plus, la campagne déserte
A dessous deux hivers perdu sa robe verte,
Et deux fois le printemps l’a repeinte de fleurs,
Sans que d’aucuns discours sa douleur se console,
Et que ni la raison ni le temps qui s’envole
 Puisse faire tarir ses pleurs…