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collègues l’écoutaient à peine. À droite on affectait de ricaner ; au centre ses collègues Lasinus et Jacot l’interrompaient toutes les cinq minutes par le cri de : « Ne touchez pas à l’armée ! » À gauche, quelques-uns le soutenaient de leurs applaudissements et de leurs « très bien ! » mais le plus grand nombre, descendus de leurs sièges, entouraient le célèbre Poumerleux qui faisait sa rentrée à la Chambre après une absence de quatre ans. Ce Poumerleux, jadis un des leaders du radicalisme, avait, au moment même de déposer un projet d’impôt sur le revenu, résigné son mandat en échange du gouvernement général d’une colonie. Et maintenant, enrichi à millions, après être parti endetté de trois cent mille francs, il revenait prendre place dans l’enceinte législative, un collègue besoigneux lui ayant vendu son troupeau d’électeurs contre une haute sinécure administrative. Aussi, le plus grand nombre disait-il de Poumerleux, non pas : « C’est un traître ! » mais « C’est un malin ! Il est très fort ! Eh ! eh ! il sera un jour président de la Chambre, ministre, qui sait ? peut-être président de la République ! Il fait bon se tenir bien avec lui. »

Tout en parlant, Paryn voyait cela. Il devinait aux colloques des petits groupes le jeu des intérêts individuels, des appétits, l’indifférence des uns, devenus de simples automates parlementaires, la médiocrité d’intelligence ou d’énergie chez le plus grand nombre. Quoi ! c’était dans ce troupeau de ruminants et de satisfaits, d’où à peine émergeaient quelques vrais hommes, qu’il allait avoir à dépenser sa force intellectuelle, sa bouillonnante énergie ! Et, en ce moment, il se demanda si le vieux cultivateur César Raulin n’avait pas eu raison.

Mais ce doute si amer fût-il ne le découragea pas. Puisqu’il était là, il ferait, dussent ses efforts être inutiles, tout le possible, tout ce que lui commanderait sa conscience. Et puis, en dehors de cette Chambre fatalement constituée à l’image de la bourgeoisie qui