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GRÉVISTES ET SOLDATS


Sur le plateau du Vertbois, des milliers d’hommes, des mineurs, étaient assemblés dans un bourdonnement d’orage. Combien étaient-ils ? Cinq mille, six mille, peut-être davantage. Parmi eux, aussi des femmes et des enfants, les leurs, venus naturellement puisqu’il s’agissait du pain de toute la famille.

À chaque instant, de nouveaux groupes de grévistes montaient la côte du faubourg et venaient se fondre dans cette multitude comme des fleuves dans un océan. Et d’instant en instant, aussi, augmentaient la houle et le murmure de la foule.

Sous le ciel clair de cette soirée de printemps, le spectacle était saisissant. L’armée du travail se dressait, grondante, devant la ville qui n’existait que par elle ; Mersey avec ses toits rouges, ses édifices, ses hautes cheminées d’usine, ses larges bâtiments de la direction et ses chantiers, apparaissait au pied de cette armée comme une Rome minuscule assiégée par des Barbares.

La multitude s’étendait en face de la Ferme nouvelle jusqu’au Fier Lapin. Très perplexe, Marbé avait clos les volets et se préparait à fermer la porte de son établissement en cas de bagarre ; toutefois, il attendait, pour prendre cette dernière résolution, que les choses se fussent tout à fait gâtées, car l’argent des grévistes qui venaient se faire servir des verres était aussi bon à prendre que tout autre.

Mais moindre qu’il l’espérait était le nombre des consommateurs. La plupart des mineurs mariés calculaient le déficit que toute dépense superflue apporterait à ce moment de chômage dans le budget du ménage, et si nombre de femmes avaient, ce soir-là, accompagné leurs maris, c’était justement pour les