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émue d’un sentiment inexprimable. Elle eût accompagné son mari aux antipodes et se disait que la patrie d’un être humain, c’est le monde entier. À Bruxelles et surtout à Londres, elle avait trouvé cette tranquillité morale que ses compatriotes lui refusaient. Et pourtant, à Londres même, elle finissait par regretter Mersey. C’était là qu’elle s’était unie à Détras, qu’elle avait vécu entre son mari et son beau-père ; qu’elle avait mis au monde sa fille ; c’était là aussi qu’elle avait souffert des persécutions de l’abbé Firot et des bonnes âmes ; mais la souffrance parfois n’attache-t-elle pas autant que le bonheur ?

Aussi lorsque fut connue l’amnistie, les Détras et Panuel s’entre-regardèrent-ils, troublés. Qu’allaient-ils faire ? Abandonner Londres, où ils gagnaient bien leur vie, à l’abri de tout ennui, ou revenir à Mersey ?

La mort de l’abbé Firot n’ayant donné lieu à aucune enquête judiciaire, Détras, maintenant redevenu, de forçat évadé, libre citoyen, pourrait retourner en France sans rien craindre. Lui aussi se surprenait parfois à bâiller d’ennui dans cette libre Angleterre où certainement l’autonomie des individus est plus respectée qu’ailleurs, mais où manque la lutte passionnante des idées.

— Présente-toi toujours au consul, lui suggéra Panuel.

L’avis était sensé ; d’ailleurs c’était aussi la pensée de Détras. Celui-ci se dirigea vers le consulat français où le secrétaire général, effaré de l’entendre narrer son odyssée le plus froidement du monde, lui déclara :

— Vous avez de la chance ! Si nous avions connu votre présence ici, nous aurions été forcés de demander votre extradition.

— C’est possible, répondit Détras, mais vous ne l’auriez jamais obtenue. Ici on ne livre pas les condamnés politiques.

Il pouvait donc revenir. Néanmoins, de longs mois