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— Notre Jean va devenir malade, se hasarda à dire la mère Mayré à son mari. Est-ce que tout de même il ne vaudrait pas mieux ?…

Elle n’osa pas achever, mais le fermier l’avait comprise.

— Oh ! ce mariage, gronda-t-il. Et cependant ?…

Un geste de colère impuissante et peut-être de lassitude ou de résignation accompagna ce mot « cependant » qui indiquait qu’un travail s’était fait malgré tout, dans l’esprit du fermier.

Jamais, dans sa nature prosaïque, il n’avait cru qu’on pût mourir d’amour, l’amour n’étant pour lui qu’un besoin sexuel qu’on peut satisfaire avec l’une ou avec l’autre. Et pourtant, il voyait que son fils en dépérissait. À quoi lui serviraient sa terre et ses quelques écus au soleil s’il continuait à s’en aller de tristesse ?

— Oh ! songeait-il, si jamais elle l’épousait, ce qu’il faudrait qu’elle travaille, pour compenser son manque d’apport !

En pensant ainsi, Pierre Mayré n’avait nullement l’intention d’être féroce. Pour lui, la vie n’était autre chose qu’un continuel calcul d’intérêts. En épousant sans dot un garçon qui possédait de l’avoir, la Lucette lésait celui-ci : il fallait donc que, par un surcroît de travail, elle rétablît l’équilibre ; c’était de toute justice.

Et peu à peu, il en arrivait à admettre que cet équilibre pouvait effectivement se rétablir ainsi. Il la voyait avec une sorte d’apaisement satisfait et même presque d’attendrissement, se levant au milieu de la nuit pour aller reprendre au champ le travail du soir précédent, ployant sous des fardeaux énormes ou tirant la charrue à côté des vaches, et réduisant ses dépenses, nourriture et vêtements, au strict minimum.

— Puisqu’elle nous devra son bonheur, pensait-il, ce sera bien le moins.