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Est-ce que nous n’avons pas ici tout ce qu’il nous faut pour bien vivre sans crainte du lendemain et je serai-t-y bien loti d’avoir quelques poules et une vache de plus, si j’ai aussi une femme qui ne me plaît pas ?

— Oh ! répondit le fermier, avec l’inconscience naïve de celui qui ne voit dans l’être humain que la bête de somme, une femme on s’en arrange toujours, qu’elle soit laide ou belle. Elle n’a pas besoin de tant de qualités pour travailler et faire des enfants.

— Pour sûr ! appuya la mère Mayré avec une conviction d’animal domestique soumis à son sort.

— Pour le travail, reprit Jean, vous ne pouvez pas dire que la Lucette soit une fainéante.

— Non, certes, admit le fermier.

— Elle est courageuse, propre, douce. Vous ne pourriez trouver mieux qu’elle pour vous aider.

— Oui, mais elle n’a pas un sou.

— Eh bien, est-ce que nous ne sommes pas suffisamment à l’aise ? Et puis comme elle nous devra tout, je suis sûr qu’elle se tuera de travail.

Cet argument était au moins bizarre dans la bouche d’un amoureux. C’était cependant le plus propre à influer sur l’esprit du fermier. Pierre Mayré demeura taciturne, l’air grave, réfléchissant.

L’idée de consentir à pareil mariage lui semblait quelque chose d’inadmissible et cependant, malgré ses efforts pour la rejeter bien loin de lui, elle revenait se présenter à son esprit.

Quant à sa femme, elle ne disait rien, habituée à n’avoir d’autre volonté que celle de son mari.

Plus de trois semaines s’écoulèrent encore. Jean n’avait pas reparlé à Céleste et celle-ci pouvait se croire enfin délivrée de sa persécution amoureuse. Cependant le jeune homme était devenu de plus en plus taciturne et sombre, il mangeait peu et par saccades, avec des gestes colères et maigrissait visiblement.