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— Est-ce qu’on me reconnaîtrait ? pensa-t-il, l’idée de préservation lui revenant au milieu de son désespoir.

Un instant après, il pensa :

— Que je suis bête ! Ce n’est pas moi, c’est mon ruban qu’elle salue.

Machinalement il porta la main à son chapeau.

— Il fait chaud voyager à pied, dit familièrement la femme.

— Oui, il fait chaud, répéta Détras sans trop savoir ce qu’il disait.

Cependant l’idée lui vint de profiter de cette conversation commencée.

— Vous vivez bien éloignée du faubourg, fit-il pour dire quelque chose.

— Oh ! répondit-elle avec un sourire qui découvrit des dents passables. Il y a bien toujours quelques voyageurs qui s’arrêtent ici.

— Y a-t-il longtemps que vous y vivez ?

— Pas plus de deux ans et demi. Avant moi la maison appartenait à un paysan qui ne l’habitait pas, parce qu’il avait une terre à Saint-Phallier.

— Et avant le paysan ?

— Elle était à une pauvre femme qui avait eu des malheurs. Son mari était au bagne pour des affaires politiques ; elle, un beau jour, a vendu tout ce qu’elle possédait, la maison aussi, et a disparu avec un vieux. Tout le monde ici lui jette la pierre, mais je dis qu’elle est plus à plaindre qu’à blâmer : il faut bien vivre, n’est-ce pas ?

Quelle torture pour Détras ! Et pourtant, il y avait dans ces paroles un sentiment de commisération pour Geneviève qui contrastait avec la dureté ricanante du vieillard. Il eut l’explication de cette humanité, lorsque la femme, le regardant avec de singuliers yeux, lui dit :

— Si vous êtes fatigué, vous pouvez entrer : je ne vous prendrai pas cher.