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plein rêve philosophique : un rêve qui aura sans doute sa réalisation.

Mais Bernard était un travailleur manuel : il voyait de trop près ou plutôt il ressentait trop lui-même les conséquences du servage économique pour ne pas vouloir avant tout briser ce servage et, s’il ne pouvait le briser d’un coup, l’amortir, l’éliminer progressivement, s’arrêtant peu aux moyens, légaux ou révolutionnaires, pourvu qu’ils aboutissent.

Il possédait, chose rare parmi les ouvriers et les révolutionnaires, cette plasticité, ce doigté qui sont des armes puissantes à condition de s’allier à l’intégrité de caractère.

Sa conception d’une société dans laquelle les travailleurs, groupés professionnellement, seraient co-propriétaires des sources de production, sol, mines et outillages, qu’ils exploiteraient à leur profit, organisant eux-mêmes la production, la consommation et l’échange, différait certainement de la conception républicaine bourgeoise qui, même sous l’étiquette radicale, maintient le salariat comme institution indispensable à laquelle il ne faut pas toucher sinon dans quelques siècles. Mais, puisqu’on vivait enserré dans la société capitaliste, il fallait bien en tirer le peu qu’elle pouvait donner et régler son action en conséquence, se servant de toutes armes, bonnes ou médiocres, au lieu de s’envelopper dans les majestueuses intransigeances théoriques.

Aussi l’idée de faire venir à Mersey des personnalités influentes du chef-lieu ne lui déplaisait-elle pas. C’était un appui moral pour les mineurs, un encouragement pour la population, un réveil succédant au recueillement de dix ans. Certes il faudrait éviter les incohérences qui pouvaient, dès le début, isoler et perdre le mouvement, mais, une fois ce mouvement lancé et bien orienté, on en tirerait tout ce qu’il pourrait donner.