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Cependant deux ou trois qui s’y étaient aventurés avaient discuté chaudement avec les réacs.

Le rémouleur Pidassier s’était même colleté avec le charron Poidasse : le charpentier Brideau et l’épicier Trouquet avaient échangé des coups de poing. Et, à vingt pas du cabaret, on entendait retentir les apostrophes :

— Idiot !

— Salaud !

— Cochon !

Les défenseurs des grands principes de conservation sociale travaillaient le suffrage universel !

Dans l’après-midi, l’effervescence avait gagné toute la commune. Sur la place de la Mairie, des groupes se lançaient des injures et des projectiles aux cris de : « Vive Paryn ! » — « Vive Balloche ! »

Balloche, maire sortant et opportuno-clérical, était plus que l’adversaire, l’ennemi du docteur.

Celui-ci, averti des, scènes qui dégénéraient en bagarres, s’était senti attristé. Quoi ! c’était cela, des pugilats mêlés de hoquets d’ivrognes, le suffrage universel, cette consultation pacifique et sereine, rêvée par des idéalistes qui avaient divinisé le Peuple et n’avaient pas vu l’Homme avec ses tares et ses corruptions ! Par moments, il comprenait le sentiment que ressentaient des natures délicates et fières.

Pourtant, ses tendances batailleuses s’éveillaient : cette cause pour laquelle on luttait, c’était la sienne. Lutte grossière, brutale, mais les poètes qui ont apothéosé la bataille ne sont-ils pas des menteurs ? Est-ce que toute bataille n’est point hideuse ?

En tout cas, il se disait qu’il lui incombait d’aller au milieu de ces hommes tenter de substituer, à la force des coups, celle des arguments. Il prit son chapeau et descendit dans la rue.

Tout de suite il fut aperçu, entouré, acclamé par le plus grand nombre. Seuls, cinq ou six opportu-