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ferveur théorique, ne pouvait oublier qu’une autre créature humaine, la femme qu’il avait aimée, qu’il aimait toujours, d’un sentiment indéracinable, survivant à tout, avait été broyée, victime innocente et faible, par la faute du misérable.

Pardonner cela à Bernin lui eût été aussi impossible que de ne pas respirer.

Il comprenait que le destin, autrement vengeur qu’un rapide coup de couteau, commençait à faire justice, que le bourreau à son tour devenait victime, tandis que lui, victime, devenait spectateur. Et sous l’œil de ce spectateur, l’agonie de Bernin se faisait épouvantable.

Chaque jour, chaque nuit, les forçats prodiguaient à celui-ci les injures, les outrages sanglants, les coups. Bernin n’osait se défendre, se plaindre au surveillant, parfaitement indifférent à tout, ni même demander grâce.

Seul Galfe demeurait muet, ne parlait pas, ne frappait pas. Il se contentait de regarder Bernin, et ce regard, que Bernin ne pouvait soutenir, lui était plus terrible que tous les outrages et tous les coups. Sous ces yeux impitoyables, rivés sur lui, il se sentait percé jusqu’à l’âme d’un poignard de feu ; sa poitrine s’oppressait, son cerveau, entamé comme par le scalpel, se troublait. Il sentait avec angoisse la folie l’envahir et n’avait même pas la force de crier.

Depuis dix jours, Bernin était au camp de Kouéta et depuis dix jours durait ce supplice. Bernin ne dormait plus, ne mangeait pas, n’osait parler à personne. Ce silence, auquel il était condamné, achevait de l’affoler. Il se disait que Galfe, après avoir bien joui de sa torture, finirait par l’achever d’un coup de couteau, et il attendait sa mort comme une délivrance, regrettant que ce dénouement tardât.

Galfe lisait en lui, et le maintenait sous une véritable domination magnétique. Il eût pu lui suggérer