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sur les états qu’il dressait lui rapportait un boni appréciable. Aussi les travaux traînaient-ils en longueur. Carmellini en était quitte pour noyer son ennui dans des flots d’absinthe.

Lorsque Carmellini était ivre, ce qui commençait à se produire à la sixième absinthe, il devenait effrayant. Toutes les ardeurs sauvages de sa nature corse, cette nature qui peut être héroïque ou monstrueuse, se déchaînaient en tempête. Malheur, en ce cas, au condamné dont la tête ne lui revenait pas ! Carmellini, empoignant un gourdin qui ne le quittait guère et qu’il appelait « Joseph », rouait de coups cet être que la vindicte sociale avait livré sans défense à son bon plaisir. Ou bien encore, il ordonnait à sa victime de se déshabiller et il l’attachait lui-même « à la crapaudine », c’est-à-dire les jambes ramenées en arrière et reliées sous les reins aux poignets, exposé ainsi aux morsures du soleil et à celles des fourmis sans que les autres condamnés, terrifiés, osassent bouger ni même murmurer.

Parfois un surveillant de Bouloupari venait rendre visite à Carmellini. Celui-ci, alors, plus encore que d’habitude, volait la ration des transportés pour fêter convenablement son collègue. Après le café, le pousse-café, la rincette et la sur-rincette, ces messieurs étant suffisamment éméchés faisaient venir les hommes du camp, choisissaient les plus jeunes et se livraient avec eux à des orgies de luxure renouvelées des bataillons d’Afrique et des sacristies. Ou bien encore, c’était pire : ils jouaient au piquet la vie d’un condamné !

Qu’on ne croie pas à de l’exagération, à du parti-pris ! Ce sont encore, à l’heure actuelle, les mœurs des pénitenciers coloniaux. Là où une presse indépendante, un contrôle sérieux n’existent pas, les tortionnaires s’en donnent à cœur-joie. Dans une société logiquement organisée, les monstres, victimes le plus souvent de tares héréditaires, seraient soignés comme