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vivre avec eux, subissant leur mépris, leur colère, peut-être voué à leur vengeance.

La nuit, il se réveillait en sursaut portant la main à sa gorge, comme si une étreinte impitoyable l’eût menacé, ou croyant sentir le froid d’une lame pénétrer dans sa chair.

Il tremblait !

Ses compagnons savaient son histoire et le méprisaient. Si vicié que soit le moral des êtres classés comme « pires malfaiteurs », il est un individu dont ils ont profondément horreur ! c’est celui qui se fait pourvoyeur de geôle et d’échafaud : le mouchard !

Les moutons et les correcteurs finissent souvent de façon tragique.

Bernin était en butte à toutes les insultes de ses compagnons. On crachait dans sa gamelle ; à bord, on coupait, pendant la nuit, les cordes de son hamac. On ne l’appelait jamais par son nom, mais par toutes sortes de sobriquets outrageants, tels que « Flicard », « Bourrique » et « La Vache », les hommes ayant pris l’injuste habitude de déshonorer les animaux inoffensifs ou utiles en donnant leur appellation à des êtres ignominieux.

Il se sentait isolé au milieu de cette hostilité générale. Il eût voulu, reprenant son ancien métier, se faire auprès des gardes-chiourmes le mouchard de ses compagnons, dénoncer des forçats comme il avait dénoncé autrefois des mineurs. Mais il n’osait : il sentait qu’on avait l’œil sur lui.

Et maintenant cette torture allait s’aggraver : il vivrait continuellement — si c’était vivre — dans la crainte de rencontrer un des condamnés de Mersey. Ce jour-là sa peau ne vaudrait pas cher !

Telles étaient les pensées qui s’agitaient dans la tête de Bernin et le faisaient frissonner tandis que les chalands, remorqués par la chaloupe, s’approchaient du rivage de l’île Nou.