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nistration pénitentiaire n’avait encore trouvé le moyen, avec une main d’œuvre de huit mille forçats, de construire un seul pont. Il s’en suivait que les voyageurs devaient, à chaque instant, soit se jeter à la nage, soit passer à gué avec de l’eau jusqu’à la poitrine, sous l’œil des jeunes requins. Ceux-ci ne se montraient pas toujours bons enfants : c’est ainsi qu’une popiné, traversant la Tiouaka, eut les deux jambes coupées net d’un terrible coup de mâchoires. Et combien d’autres ! Parfois, cependant, pour varier, lorsque l’Européen voyageait d’une rive à l’autre, à cheval sur un Canaque, l’anthropophage des mers, respectant l’anthropophage de terre, s’approchait délicatement de ses épaules pour cueillir sa proie. C’est ce qui arriva un jour à un pauvre docteur, lequel servit de pâture au vorace poisson.

On dîna aussi joyeusement qu’au café Riche, la bonne humeur complétant un repas des plus solides. Après quoi, notre hôte, nous conduisant dans un hangar, nous montra gracieusement deux bottes de paille bien fraîche, étendues à terre à notre intention. Nous y passâmes, habillés et entortillés dans une vieille couverture, une nuit excellente, agrémentée par la visite des petits cochons qui venaient nous mordiller les pieds.

Nous nous arrachâmes à ces délices vers cinq heures du matin et, prenant congé de la population blanche, nous allâmes réveiller nos Canaques, couchés dans un abri voisin et qui n’avaient jeûné ni de riz, ni de tafia. Nous mîmes à la voile et, suivant le système d’escales adopté par Simonin, arrivâmes à Poro pour l’heure du déjeuner. Là aussi il comptait des amis, un ancien quartier-maître, quelques mineurs. C’est dire que le repas fut sérieux et convenablement arrosé.