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Difficilement, il se retenait de piquer sur le pont du navire un cancan échevelé. Néanmoins, l’amertume de l’un et l’exhilarance de l’autre ne les empêchaient, pas plus que nous d’ailleurs, de faire honneur au confortable ordinaire du bord. Bien loin les immasticables fayots et la carne des longues traversées ! On est servi aussi copieusement et aussi bien qu’à bord d’un transatlantique : Gilbert engloutit une moitié de volaille et Balthazar arrose d’un nombre respectable de tasses de thé une montagne de riz à la créole.

Ce voyage, commencé sous des auspices aussi favorables, se termina sans accidents ni incidents. Le soir même, nous étions installés rue de Sébastopol, dans un logement meublé de deux lits une table et trois chaises. Notre propriétaire, une Anglaise, petite, rousse, bossue, qu’animait un double et désastreux amour pour la bouteille et pour l’accordéon, nous déclara avec un sourire épouvantable, que nous serions « all right ».

À Nouméa, les déportés se trouvaient délivrés de l’appel quotidien, mais ils devaient, chaque mois, signer sur un livre de présence. En outre, toute perambulation dans les rues, passé dix heures du soir, leur valait, au fort Constantine une retraite pleine de méditations salutaires, les goguettes nocturnes étant le privilège des officiers de toutes armes. Le commissaire de police Audet, type de satyre inquisiteur, qui est, je crois, maintenant au bagne, tenait la main à l’exécution de ce règlement. À la tête de sa police canaque, composée de huit ou dix sauvages à peine vêtus, armés de sagaïes ou de casse-tête, il parcourait fiévreusement la ville et lorsqu’il avait la bonne fortune de rencontrer un délinquant, quelle ivresse ! La meute se ruait sur le gibier