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gouverneur jusqu’au dernier policeman », on se disait sans la moindre hésitation : « Tiens ! le capitaine Hubert qui passe ! »

Nous aurons occasion de reparler de ce loup de mer, qui avait, à l’île des Pins, un rival en originalité aussi bien qu’en intempérance dans la personne du déporté Léonce Rousset. C’était un petit bossu, non pas tout à fait bègue, mais bredouillant fortement, d’où l’harmonieux sobriquet de Caracaca. Intelligent, instruit et d’un caractère fort serviable, il professait un amour immodéré pour la bouteille, qu’elle contînt du vert, du jaune, du rouge ou du blanc. Il en résultait des situations parfois comiques, parfois tragiques, parfois les deux : ainsi il faillit, un jour, disparaître dans une fosse d’aisance. Les surveillants militaires, lors même qu’ils ne l’entendaient pas répondre, deux ou trois jours durant, à l’appel de son nom, ne s’émouvaient pas outre mesure, certains de le retrouver endormi du sommeil d’Épiménide, au coin de quelque fourré. Ce passionné buveur possédait une plume alerte : il créa, en collaboration avec quelques camarades, le Parisien illustré, petite feuille lithographiée qui eut quelques numéros hebdomadaires et débita de l’humour à défaut d’informations. Après l’amnistie, Caracaca, rentré en France, prit femme et se lança dans le journalisme industriel, mais il ne renonça pas à son goût favori et, comme le capitaine Hubert, il est, je crois, mort d’avoir bu trop souvent et trop à la fois.

Un mois et demi environ s’était écoulé depuis notre arrivée à l’île des Pins. Des poules picoraient derrière notre cuisine, le jardin promettait beaucoup, mon père se tuait à arroser ses choux ; j’alternais, avec la lecture