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montée par quelques officiers, nous accosta. Elle était conduite par des rameurs canaques et nous dévorions des yeux, sinon en anthropophages du moins en curieux, ces bruns insulaires, vêtus d’un simple caleçon et porteurs d’une formidable tignasse crépue, rougie à la chaux. Les traits de leur visage manquaient, certes, de finesse, mais le torse était beau ; la poitrine et la croupe étalaient de vigoureuses rotondités qu’eussent, certes, enviées bien des femmes.

Les immigrants libres furent les premiers à quitter le bord ; puis commença le débarquement des trois cents forçats et de la troupe. Les déportés, à leur tour, furent séparés en deux bandes : les uns dirigés de suite sur la presqu’île Ducos, les autres réservés pour l’île des Pins.

Ce ne fut que le 28, au bout de trois jours, que ces derniers furent provisoirement débarqués à Nouméa, leurs familles avec eux. On remit à chaque proscrit une carte d’identité, en l’avertissant de répondre à la première réquisition de l’autorité, de se conduire pendant son séjour au chef-lieu selon les prescriptions rigoureuses de la civilité puérile et honnête, de ne pas circuler dans les rues après le coup de canon tiré tous les soirs à dix heures. Puis, on nous laissa libres… relativement.

Notre premier mouvement fut de tomber dans les bras les uns des autres : enfin, nous étions réunis, hors de la surveillance des argousins ! Notre second fut de chercher un domicile et, très heureusement, nous trouvâmes une chambre meublée dans la maison d’un déporté qui, chose doublement incroyable, était à force de travail, devenu propriétaire et, néanmoins, demeuré très brave homme. Je crois même qu’il fit des difficultés, pour se laisser payer la semaine pendant laquelle nous restâmes ses