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brailler les premières insanités venues. La bourgeoisie tombe en déliquescence, entraînant avec elle une partie du prolétariat qu’elle a contaminée : il est temps que l’autre partie, la couche profonde, se soulève et bouleverse tout pour régénérer.

Il ne faut pas oublier, parmi les passagers remarquables, un coiffeur rochellois du nom de Pricot : il eût mérité de naître entre la Garonne et les Pyrénées. C’était un de ces douzièmes de savants qui, bavardant, sur tout à tort et à travers, passent pour aigles auprès des imbéciles. Malgré son bagout, la fortune ne lui avait pas souri et il allait au pays des Canaques, prêt à entreprendre tous les métiers. Cinq ans plus tard, étant gérant du bureau télégraphique de Thio, je l’eus sous mes ordres, — quel mot pour un anarchiste ! — en qualité de surveillant des lignes. Sa femme, petite, laide et tout à fait illettrée l’accompagnait, ainsi que leur enfant, pauvre créature qu’ils rudoyaient sans cesse.

Le côté féminin mérite aussi quelque description. Du 1er mars, jour de notre départ, au 28 juillet, jour de notre débarquement, la batterie basse fut animée par les querelles homériques de mesdames Boisgontier, Ardouin et Redon.

Madame Boisgontier était une petite et grosse commère qui tranchait de la distinction parce qu’elle avait des cheveux blancs et portait une robe de soie. Elle se disait Espagnole et avait peut-être voyagé au pays des Isabelle, mais semblait plutôt originaire de la place Maubert. Rien n’était plus comique que les exclamations épicées qui lui échappaient au milieu de ses tirades les plus majestueuses, rien n’était plus amusant que ses pataquès qui décelaient une ignorance sans limites. Une nuit, la mer furieuse