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Par contre, j’emportai, ancré dans mon cœur, le désir de la revanche, revanche qui s’étendant plus tard des hommes aux institutions, les grandes coupables, devait faire de moi un adepte de la révolution sociale.

Il était bien curieux pour un jeune homme ignorant tout de la vie, ce troupeau humain entassé à bord du Var. L’équipage, en presque totalité, était breton, doué de sympathies médiocres à l’égard des « Parisiens, » qui le lui rendaient. Sauvages et fanatiques, terribles instruments aux mains de la réaction, les compatriotes du pieux Trochu avaient, sans hésitation, tiré sur le peuple pendant le premier siège, puis s’étaient signalés dans l’hécatombe de Mai. Pour ces primitifs, en général honnêtes et courageux, mais par cela même, d’autant plus redoutables dans leur aveuglement, tout ce qui venait de la ville rebelle était ennemi ou, au moins, suspect. Habitués au sarrasin de leur pays, ils s’indignaient que des passagers, qualifiés, pour la plupart d’indigents, montrassent quelque répugnance devant l’exécrable ordinaire du bord.

Lorsque, six ans plus tard, de retour à Brest, il me fut donné de connaître la population ouvrière, je ressentis une impression toute différente. Il y a beaucoup à attendre, pour les futurs mouvements sociaux, de cet élément armoricain, jeune, enthousiaste et tenace.

Passagers libres, détenus, soldats, marins, se trouvent divisés à bord par plats de sept à dix : deux hommes sont de service chaque jour pour chercher les vivres, porter à la marmite commune le maigre lambeau de viande que transperce une broche portant le numéro du plat, monter les bancs et les tables, les démonter. Puis, c’est le lavage du plancher à grand renfort de raclettes