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pendant l’absence de son supérieur, les forçats faire tout ce qu’ils voulaient et ceux-ci, par reconnaissance, sans doute, l’ont ramené bien des fois, ivre-mort, sur leur dos pour le coucher dans son lit comme un enfant.

Les surveillants occupaient, en aval de la rivière, une case distante de la mienne de trois cents mètres à peine. Une demi-douzaine de forçats et autant de Canaques de la police indigène vivaient auprès d’eux et, la nuit, couchaient dans deux misérables gourbis, près desquels s’élevait la carabousse, — la prison, — bâtiment carré aux madriers solides, dont on n’eût pu s’échapper que par le toit en paille, ce qui, du reste, arriva quelquefois.

Le chef de cette police indigène mérite une mention spéciale. Némoin, un des Canaques les plus intelligents qu’il m’ait été donné de connaître, représentait le type polynésien légèrement modifié par le sang mélanésien, tel qu’il existe aux Fidjies. Son teint était cuivré et ses cheveux crépus, mais toute sa figure respirait l’intelligence et l’audace : adroit tireur, il se glissait dans la rivière tenant seulement hors de l’eau sa tête et le fusil qu’on lui confiait. Il abordait ainsi un îlot, lieu de rendez-vous des innocents canards sauvages et pif ! paf ! Presque toujours, il nous revenait avec du gibier. La perte de l’index à la main droite ne le gênait ni pour tirer ni pour écrire, car il savait écrire, et presque sans fautes d’orthographe. Je me rappelle les billets typiques qu’il écrivait du store Girard au surveillant Bailly, chef du camp par intérim :

« Monsieur Bailly, je reste chez Girard parce que je suis soûl comme un cochon. Je vous envoie le Canaque (!) pour porter le courrier. Demain matin, je serais (sic) de retour au poste.         Némoin. »