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liv. vii.
ADMINISTRATION RURALE.

mens, et des avances de capitaux parfois si importantes qu’on a, la plupart du temps, de la peine à se déterminer, même avec un esprit éclairé et progressif, à les adopter ; ou bien que, faute de moyens, on est obligé de persévérer dans des méthodes ordinaires qui donnent moins de bénéfices et vous placent dans un état d’infériorité vis-à-vis les autres producteurs qui ont cédé à l’impulsion.

L’état d’imperfection des voies de communication, les charges fiscales, la pénurie des capitaux, le taux élevé de ceux qu’on veut emprunter, sont encore pour les agriculteurs les plus instruits et les plus actifs eux-mêmes, autant d’obstacles qui entravent leur industrie, accroissent leurs frais de production et restreignent encore leurs bénéfices.

La plupart des produits bruts de l’agriculture sont volumineux, lourds, encombrans, et ne peuvent, généralement parlant, par rapport à leur valeur vénale, supporter de gros frais de transport et être avec avantage envoyés au loin ; ce qui restreint le marché où on pourrait espérer de les placer, empêche de les vendre sur celui où on en retirerait un plus gros bénéfice, et diminue le nombre des consommateurs auxquels on pourrait les offrir.

La division du travail, qui accroît la puissance du producteur, diminue les frais de production et à laquelle l’industrie manufacturière et les arts doivent tant de merveilles, ne trouve guère d’applications que dans les grandes fermes et les exploitations étendues. Dans toutes les autres, c’est-à-dire dans la majeure partie de la France, l’exiguité des héritages ne permet pas que chaque travailleur soit constamment occupé d’un même genre d’ouvrage et empêche de profiter des avantages de cette division. Ajoutez à cela que l’agriculture se compose d’une variété infinie de travaux annuels, qui presque tous doivent être exécutés dans une saison opportune, qu’il faut un très petit nombre de travailleurs pour exploiter même un domaine d’une certaine étendue, enfin que des avances plus considérables de capitaux sont indispensables pour établir une division profitable du travail dans une opération quelconque, et on concevra que, dans les circonstances actuelles, l’agriculture, en Fiance, ne peut pas compter sur ce moyen puissant pour diminuer ses frais de production et accroître ses bénéfices.

Dans les conditions les plus ordinaires, un entrepreneur, quelque instruit, actif ou industrieux qu’il soit, ne peut guère diriger avec succès qu’une exploitation d’une grandeur médiocre ; les difficultés croissantes que présente l’entreprise à mesure qu’elle augmente d’étendue, la rareté des capitaux, la répugnance de ceux qui les possèdent à les confier à l’industrie agricole, le taux ruineux et beaucoup trop élevé de l’intérêt qu’on exige pour les prêter aux agriculteurs, tendent donc aussi à restreindre l’industrie de ceux-ci et à les forcer de se contenter des bénéfices qu’on peut recueillir sur un domaine resserré ; et tandis que le manufacturier et le commerçant, soutenus par un crédit presque illimité, ne connaissent souvent d’autres bornes à leurs travaux, à leurs spéculations et à leurs bénéfices, que l’étendue du marché qu’ils savent s’ouvrir, la rapidité de la consommation et la concurrence, l’agriculteur a non-seulement les mêmes limites comme marchand de denrées agricoles, mais de plus il a devant lui les obstacles insurmontables que présentent les bornes du fonds qu’il peut exploiter avantageusement et la pénurie des capitaux.

Ainsi tout concourt, dans l’industrie agricole, d’un côté à réduire le taux des bénéfices, et de l’autre à resserrer ceux-ci dans d’étroites limites, et tout prescrit, tout fait une loi impérieuse à ceux qui se livrent à l’exercice de cette industrie, de rechercher, dans une appréciation rigoureuse de toutes les circonstances qui influent sur la production, dans la comparaison numérique des avantages que présente tel ou tel procédé, tel ou tel système, dans des tableaux et des comptes exacts de tous les moyens mis en œuvre pour parvenir à un résultat quelconque, en un mot, dans une administration habile, régulière et méthodique, les chances de succès et les bénéfices auxquels a droit tout homme actif, comme récompense de ses travaux et de son industrie.

Dans l’exposé sommaire que nous allons mettre sous les yeux du lecteur des principes de l’administration rurale, nous avons pensé que le premier devoir de celui qui voulait se consacrer à la production agricole était de jeter un coup d’œil sur lui-même, et d’examiner s’il réunit les conditions auxquelles doit satisfaire tout entrepreneur de ce genre d’industrie. Dans le cas affirmatif, son deuxième devoir est de se livrer à la recherche, puis de procéder à l’acquisition ou location du domaine qu’il doit exploiter. Lue fois en possession de ce fonds, c’est à lui à l’organiser dans toutes ses parties d’après les principes qu’enseigne la science. Enfin, le fonds étant organisé, il ne restera plus qu’à imprimer à l’administration la direction que l’entrepreneur jugera la plus convenable et la plus conforme à ses intérêts.

Ces quatre phases distinctes de l’administration rurale feront le sujet d’autant de titres séparés dans le présent livre ; mais, avant d’entrer en matière, nous éprouvons le besoin de consigner ici une observation générale, que nous prions de ne jamais perdre de vue dans tout le cours de ce livre, parce qu’elle s’applique en quelque sorte à tous les sujets que nous aurons à traiter, et qu’elle nous évitera le soin d’entrer dans des détails minutieux ou des répétitions inutiles ou fastidieuses.

La production agricole est un problème immense, susceptible d’une variété infinie de combinaisons et de solutions, et dans lequel il entre un nombre considérable d’élémens non-seulement divers entre eux, mais variables eux-mêmes suivant une foule de circonstances accidentelles, imprévues, et souvent très difficiles à discerner et à apprécier. Ainsi, ce qui est vrai pour un pays ne l’est pas parfois pour un autre ; ce qui paraît bon et avantageux dans un canton pourrait être préjudiciable dans un canton voisin ; ce qu’on pourrait entreprendre avec profit dans une ferme serait désastreux dans un domaine