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des prairies basses proprement dites dont j’aurai à parler plus tard.

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§ iv. — Des pâturages exposés aux inondations.

Il est des terrains presque toujours très-fertiles, parce que les eaux qui les couvrent à des intervalles plus ou moins rapprochés déposent à leur surface un limon fort riche en matières végéto-aniniales. Trois causes principales s’opposent cependant à leur mise en cultures alternes : la crainte de les voir promptement minés ou entraînés par les courans, si on détruit, sur quelques points seulement, la masse gazonneuse qui les protége ; — l’incertitude des récoltes économiques qu’on pourrait leur demander dans l’intervalle présumable d’une inondation à l’autre ; — enfin, la qualité et l’abondance des fourrages qu’ils produisent annuellement.

Ceux qui n’ont pas l’habitude de parcourir les rives des grands fleuves, en voyant des îles entières sensiblement plus creuses à l’intérieur qu’à la circonférence, et entourées d’une sorte de levée verdoyante, seraient tentés d’attribuer à l’art cet effet d’une cause toute naturelle. — Les herbes, non-seulement consolident puissamment les terres qu’elles recouvrent, en liant leurs molécules par de nombreuses racines, et en présetant une surface unie sur laquelle l’eau coule sans occasioner de dégâts ; mais lorsque l’inondation tire à sa fin, chaque touffe, chaque fragment de chaume, et pour ainsi dire chaque feuille, opposant un léger obstacle, arrêtent quelques parcelles de limon, de sorte que lorsque le fleuve est rentré dans son lit, toutes les parties gazonneuses se trouvent plus ou moins recouvertes d’une croûte fertilisante, qui disparaît bientôt après sous la riche végétation des gramens, tandis que les parties habituellement labourées, bien que moins exposées, abandonnent davantage au courant et reçoivent moins de lui. — Je connais telle île de la Loire, qui n’est cependant pas cultivée depuis un fort long temps, et dans laquelle les chantiers sont plus élevés de près d’un mètre que l’intérieur.

En de telles circonstances on comprend combien il est important de réserver un pâturages ou en prairies toutes les portions d’une propriété qui sont les plus menacées. Aussi la distribution et la conservation des herbages dans les lieux submersibles par des eaux courantes est-elle une question qui intéresse vivement le fermier, et bien plus encore le propriétaire, puisqu’il y va, je ne dirai pas de l’amélioration graduelle, mais de la conservation ou de la destruction plus ou moins prompte de son avoir. — Il ne faut pas croire du reste, quelque productives que puissent être ordinairement les cultures diverses des terrains d’alluvion de formation aussi récente que ceux qui nous occupent en ce moment, que ce soit un grand sacrifice d’en abandonner une partie aux graminées naturelles, car, en définitive, elles valent souvent alors, à bien peu près, les meilleures prairies artificielles, et leur production est indispensable à la nourriture du bétail. À la vérité, dans beaucoup de lieux, la culture des îles et des vallées riveraines se fait exclusivement à bras d’hommes ; les bœufs y sont à peu près inconnus ; mais comme il n’en faut pas moins des fumiers, les habitans élèvent le plus possible de vaches, et non-seulement ils spéculent sur le laitage, le beurre ou le fromage qu’ils en obtiennent, mais ils font de nombreux élèves destinés au marché ou à la boucherie ; or, dans tous ces cas, les pâturages, dont nous verrons plus loin qu’ils savent parfaitement utiliser les produits, ne pourraient jamais être entièrement remplacés, et ne pourraient que rarement l’être avantageusement, même en partie, par d’autres cultures fourragères.

Malheureusement, si la végétation des herbes oppose souvent une digue assez puissante aux efforts des eaux, il est un autre inconvénient, inhérent également au voisinage de certains fleuves, contre lequel elle ne peut rien. Je veux parler de l’ensablement. Parfois, dans les parties basses, à la place du limon précieux qui fertilise, le courant roule et accumule à plusieurs pieds d’épaisseur des sables presque sans mélange de terre végétale ; quand il se retire, une grève aride et désormais irrévocablement fixée a remplacé la terre végétale et détruit pour longtemps tout espoir du cultivateur. — Dans cette fâcheuse circonstance, c’est encore aux herbages qu’on demandera les premiers produits et le retour progressif du sol à la fertilité, car dès que la couche gazonneuse aura pu s’établir au milieu des peupliers ou des saules qu’on aura préalablement plantés, la surface s’élèvera, se pénétrera de sucs nutritifs, et le sable se trouvera resserré entre deux épaisseurs de bonne terre dont, en dépit des obstacles, la persévérance humaine aura su profiter, puisque, tandis que les racines des arbres iront chercher la nourriture et la fraîcheur jusque dans la première, à l’ombre de leurs feuillages les gramens prospéreront sur la seconde.

Dans les vallées dont les terres arables sont situées sur les hauteurs, les pâturages et les prairies submersibles deviennent, avec raison, la base du système de culture qu’on y suit ; plus ils sont abondans, moins on devra consacrer d’autres terres aux herbages dits artificiels et aux récoltes racines. — Chacun sait que dans le voisinage de la mer, jusques aux dernières limites des eaux saumâtres, on trouve des pâturages, à la valeur nutritive desquels paraît ajouter beaucoup la petite quantité de sel dont ils sont accidentellement imprégnés.

iie sujet. — Des pâturages temporaires.

On peut diviser ces sortes de pâturages en deux séries principales : 1o  les pâturages des jachères, et sur les chaumes de l’assolement triennal ; — 2o  les pâturages d’assolement de plusieurs années d’existence.

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§ ier. — Des pâturages de l’assolement triennal.

En suivant la méthode justement qualifiée de déplorable de l’assolement triennal avec jachère, le défaut de prairies artificielles oblige les fermiers à chercher le plus souvent la nourriture indispensable à leurs