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II
PRÉFACE

demande plus quels sont les hommes dont le labeur a donné à la Science ces propositions.

De la part de ceux qui tirent parti de l’invention, cette indifférence à l’égard de l’inventeur paraît étrange, lorsqu’on la compare au soin minutieux avec lequel on scrute jusqu’en ses moindres particularité de la vie des grands artistes et des littérateurs célèbres, Pourquoi, ici, cette curiosité insatiable, poussée, parfois, jusqu’à l’indiscrétion ? Pourquoi, là, cette indifférence qui confine à l’ingratitude ?

On invoquera peut-être, à titre d’explication, la valeur essentiellement objective des découvertes scientifiques. Pour appliquer avec la plus exacte précision le principe d’Archimède, pour diriger avec la plus haute compétence la construction d’un navire, l’ingénieur n’a nul besoin de connaitre l’anecdote relative à la couronne de Gélon, tyran de Syracuse.

L’explication serait insuffisante. Mainte œuvre de l’art ou de la littérature possède en elle-même sa valeur intrinsèque et, pour nous ravir, n’a pas besoin que l’histoire de l’auteur nous soit connue. On peut admirer l’Iliade et contempler la Vénus de Milo, bien que l’existence même du vieux poëte aveugle ait pu être révoquée en doute, et que le nom du sculpteur soit entièrement ignoré. L’ignorance, donc, où nous demeurons au sujet de l’auteur ne nous empêche aucunement de jouir du chef-d’œuvre ; et cependant cette ignorance ne se change pas en indifférence. Que d’efforts n’a-t-on point tentés pour deviner quelque chose de la vie d’Homère, depuis le temps où sept villes hellènes se disputaient l’honneur de lui avoir donné le jour ? Et si, demain, quelque archéologue déchiffrait, en une antique inscription, le nom de celui qui a taillé dans le marbre le corps divin de la Vénus de Milo, avec quelle enthousiaste émotion cette trouvaille ne serait-elle pas célébrée ?

Pourquoi donc, lorsqu’il s’agit d’un chef d’œuvre de la poësie ou de la sculpture, ces efforts désespérés pour découvrir le nom, le siècle, La patrie de l’auteur ? Pourquoi, au contraire, lorsqu’il s’agit d’une vérité de l’ordre scientifique, cette insouciance d’une histoire que quelques recherches aisées permettraient souvent de reconstituer ? Il faut bien qu’un tel disparate ait sa raison d’être.

Voici, croyons-nous, quelle est cette raison : Tandis que le chef-d’œuvre de l’art ou de la littérature est essentiellement