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quelques journées ; car ils sont exposés, aussi bien que les grands commerçans, aux faillites. Il suffit, pour consommer leur ruine, d’une maladie qui a duré plus d’une semaine ; d’une amende que par imprudence ils ont encourue ; d’une partie de plaisir qui a commencé trop tôt le dimanche et a fini trop tard le lundi ; ou même d’un prêt généreux à quelque malheureux plus malheureux qu’eux-mêmes, et qu’ils n’ont pu secourir qu’en engageant au Mont-de-Piété tout ce qu’ils possédaient.

À défaut d’outils, de marchandises ou de provisions, ils seraient réduits à la mendicité ; mais, habitués au travail et à une sorte d’indépendance au milieu de cette grande ville, dont ils sont les habitans nomades, ils ne se résigneraient qu’à la dernière extrémité à vivre d’aumônes ; ils préfèrent emprunter à de pauvres gens qu’ils ont peut-être aidés autrefois, ou, s’ils demandent à des personnes riches de leur connaissance, c’est à titre d’avance seulement ; ils exigent même souvent alors qu’on aille acheter avec eux les objets qui leur sont nécessaires pour travailler, soit qu’ils ne veuillent pas être soupçonnés d’un mauvais emploi de l’argent, soit qu’ils redoutent eux-mêmes la tentation, toujours prête à les saisir au milieu de leurs privations continuelles.

Il y a une variété infinie de ces petits métiers, et ils nécessitent en général plus d’aptitude et d’expérience qu’on ne sautait l’imaginer.

Les uns peuvent être considérés comme fixes et durables, par exemple ceux des écrivains publics, barbiers sans boutique, petites couturières à la journée, etc., marchandes des quatre saisons, marchandes de friture, de gaufres, de petits gâteaux, de jouets, commissionnaires, porteurs d’eau, marchands d’habits, joueurs d’orgue, marchands de ferraille, de bric-à-brac, de verres cassés, chiffonniers, décrotteurs, etc., etc., etc. ; d’autres, au contraire, sont passagers, changeans, et souvent sont sujets au cumul, par exemple ceux des marchands de tisane, scieurs de bois, ébarbeuses de socques, colporteurs d’almanachs, crieurs d’évènemens remarquables et de jugemens célèbres, marchands de marrons, pêcheurs à la ligne, etc., etc. ; mais tous, sans exception, peuvent être entrepris au moyen d’une première mise de fonds, qui n’est, suivant leur importance, que de 20 fr., de 10 fr., et pour quelques uns même de 5 fr.

Des renseignemens minutieux, en grande partie extraits des procès-verbaux et des pièces de comptabilité d’un comité de secours institué vers 1820 par quelques jeunes gens dans la rue Taranne, nous permettront de donner successivement les notes statistiques des frais indispensables d’établissement de ces différentes professions ; avant tout, nous croyons nécessaire de faire précéder cette sorte d’inventaire d’une seule remarque générale. La plupart des états dont il sera question s’exercent en plein air, ou à peu près ; il est donc une dépense qui doit prudemment précéder toutes les autres, c’est le paiement du loyer d’un réduit pendant la durée du premier mois de travail. Le prix le plus élevé, chez les principaux logeurs, est fixé à 4 francs, du moins aux environs du Panthéon, de Notre-Dame et de l’Hôtel-de-Ville.

Cordonnier en vieux. — Il n’est personne qui n’ait souri devant une caricature qui représente un savetier fort en colère contre sa femme, et s’écriant, je crois, dans son indignation : « Malheureuse ! tu oses insulter un homme établi ! »

Cette exclamation est très naturelle et très juste. Celui qui a le bonheur de posséder quelques outils, des formes qu’il a façonnées lui-même, un mauvais siége et un toit de bois large d’un pied et demi, à une place fixe, est à l’un des premiers rangs des petits métiers. S’il est économe, assidu, rangé, s’il tient parole à ses pratiques, qui sont en général les servantes de la rue, il parviendra, à force d’économies, à se faire pour la mauvaise saison un enclos de planches peintes avec des croisées vitrées, ou bien à sous-louer un intérieur de porte bâtarde, qui, avec le temps, pourra s’agrandir en boutique ; et même, qui sait s’il n’obtiendra pas un jour une place de portier !

Voici la liste et le prix des outils qui lui sont le plus nécessaires :

Une paire de pinces 3 f. » c.
Un marteau 2 25
Deux tranchets à 1 fr. 50 c 3 »
Une demi-douzaine de manches d’alênes à 13 c. » 90
Une paire de tenailles 1 50
Un astic en buis » 75
Idem en os » 50
Un plastron » 50
Deux biseigles à 75 c. 1 50
Un fusil » 75
Une mailloche 1 25
Un fer à jointures 1 10
Idem à piqûre 1 »
Une roulette » 75
Un fer à coulisse 1 50
Idem à passe-poil 1 20
Planches, bois pour les formes, et un siége 3 »
Total. 241 f. 45 c.


Chiffonnier. — Le chiffonnage est un métier difficile L’apprentissage est long et pénible pour s’ouvrir un chemin paisible à travers la concurrence, pour arriver à diviser habilement le travail de chaque semaine, de chaque jour, de chaque nuit ; pour connaître les heures favorables, les bons endroits, les débris les plus précieux à enlever, os, verres cassés, chiffons, papier, carton, bourres de crin, produits chimiques, etc. ; pour se faire bien venir des portières ; enfin pour avoir, dans différens quartiers, des maisons, comme on dit, attitrées. L’état est assuré quand on n’a plus à craindre de s’attirer par inexpérience les querelles et les coups des confrères, quand on est suffisamment connu des agens de police, quand on a une casquette chaude, des guêtres de cuir, un dos de cuir, une lanterne garnie de son verre, et qu’on a pu se laisser pousser la barbe, de manière à poser au besoin dans les ateliers. Les chiffonniers habiles savent améliorer sensiblement leur métier : ils parviennent à s’associer, à louer un coin de grenier, et à emmagasiner les matières de choix, de manière à être en état d’attendre des offres de plus en plus avantageuses des marchands et des fabricans.

Une médaille de chiffonnier 2 f. » c.
Un mannequin 3 »
Un crochet » 50
Une lanterne » 75
Total. 6 f. 25 c.


Marchande de friture. — Les premiers frais de ce métier, lorsqu’il ne s’exerce que dans les rues et sur les ponts, ne s’élèvent pas au-delà de 10 à 12 francs. Il suffit alors d’un éventaire qui s’attache à la ceinture, d’une hotte, d’un panier, d’une poêle à main, d’un petit réchaud, et de quelques provisions en charcuterie et en pommes de terre. Dès qu’il cesse d’être ambulant, la dépense est plus considérable, les provisions sont plus variées ; il est besoin d’un assortiment de poissons : soles, limandes, carlets, fretin, etc. Enfin lorsque l’on commence à avoir besoin de plusieurs fourneaux à la fois, de s’approvisionner à la Halle à la volaille, la profession est de premier ordre, et son nom se transforme en celui de rôtisseur.