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éclat de rire, et le professeur, fronçant les sourcils, et d’un air terrible, s’écria :

« Que signifie cette bêtise, monsieur ? Venez ici ! »

Édouard, épouvanté, arriva au pied de l’estrade, et là, pressé par les interrogations fulgurantes du professeur, avoua tout et désigna le coupable. Celui-ci fut mis au cachot et toute la classe au pensum.

Après cette leçon, Édouard se garda bien, comme on pense, d’aller demander au portier, qui était un vieux soldat, des culottes de peau en pâtisserie. Mais l’aventure ne finit pas là. Pour avoir nommé celui qui, sous apparence de bonté et de compassion, l’avait si cruellement trahi, Édouard fut appelé « mouchard » et traité en pestiféré. Chaque élève eut à cœur de venger sur lui le pensum qu’il avait reçu, et c’étaient ces taquineries sourdes, incessantes, qui, désolant ce pauvre enfant, avaient altéré son humeur et l’avaient rendu si maussade. Ce soir-là même, houspillé dans la rue par deux élèves qui habitaient le voisinage, il n’avait pu retenir ses larmes, ne voyant pas de fin à cette persécution.

« Nous allons y chercher remède, dit la maman, et nous consulterons ton papa. » En attendant, elle pressait doucement contre elle son enfant, essuyait ses yeux, l’embrassait, et Édouard déjà oubliait ses maux.

Sa mère, jugeant qu’il avait besoin de repos, le retint, prétendant qu’il avait de la fièvre, deux jours à la maison. Puis il retourna au collége, fortifié des recommandations paternelles.

Tâche d’être moins sensible à ces taquineries, lui avait dit son papa. Quand on verra qu’il n’est pas facile de te tourmenter, on te laissera tranquille. »

Édouard suivit ce conseil ; puis il vint d’autres nouveaux, qui le firent ancien à son tour, et il finit bientôt par avoir droit de cité au collége, et même par faire partie d’un groupe de bons camarades, au milieu duquel il se sentait comme en famille. Quand il en fut là, et qu’il eut repris sa gaieté, sa maman lui fit un jour cette observation :

« Mais pourquoi, au lieu de nous confier tes peines, étais-tu si grognon et si maussade avec nous ? Ce n’était pas notre faute, et de cette manière tu te procurais de notre côté de nouveaux ennuis, quand nous aurions pu t’aider et te consoler. Tu vois bien que la rudesse appelle la rudesse, et qu’il faut être aimable pour être aimé.

— Oui, dit Édouard, je le vois ; mais je voudrais bien savoir quelle punition madame la Justice des choses a donnée à ces méchants qui se plaisaient à me faire souffrir ?

— C’est vrai ; car ici le cachot et le pensum ne sont que punitions arbitraires et factices. Eh bien ! je ne sais ce qui a pu leur arriver immédiatement de désagréable ; mais je suis certaine qu’ayant de mauvaises dispositions dans leur cœur, ils ne sont point heureux en eux-mêmes, ni avec ceux qui les entourent ; assurément, cette humeur méchante, dont ils t’ont rendu victime, doit leur occasionner des désagréments. Et je sais aussi que le plus grand malheur qu’ils pourraient avoir serait de ne pas être suffisamment avertis, de ne pas comprendre leur tort et de garder en eux cette horrible maladie de l’injustice et de la méchanceté, qui les rendrait odieux à tout le monde et bien malheureux, puisqu’ils n’auraient pas d’amis. »

Lucie B.