Page:Magasin d education et de recreation - vol 15 - 1871-1872.djvu/66

Cette page n’a pas encore été corrigée

au collége ! Pourquoi n’avait-il pas mieux travaillé à la maison ?

L’après-midi, il ne fut guère plus tranquille. On ne l’attaqua pas ouvertement ; mais on passait près de lui en disant très-haut :

« As-tu vu le nouveau, toi ?

— Ne m’en parle pas. J’en ai les yeux tout bêtes.

— N’est-ce pas qu’il a une drôle de boule ?

— Il ressemble à un veau de deux jours.

— Oui, il beugle pas mal.

— Vous vous trompez, vous autres ; c’est l’agneau de la fable ; il tette encore sa mère.

— En effet, il tient de La Fontaine. »

Et mille sottises de ce genre.

Édouard souffrait beaucoup de se voir ainsi un objet de risée. Aussi fut-il ému de reconnaissance quand un élève de la première division, un grand de douze ans, dit, en s’approchant de lui :

« Laissez donc, vous autres. Vous n’êtes que des méchants. Que vous a fait ce garçon ? Est-ce pour l’habituer que vous le tourmentez comme ça ? — Donnez moi le bras, poursuivit-il en s’adressant à Édouard, et je vous réponds qu’ils vont vous laisser tranquille. »

Et tandis qu’ils marchaient ensemble dans la cour, suivis à distance par une petite bande, d’où partaient des rires étouffés :

« Oui, moi je n’aime pas voir molester les gens comme ça. Riez, vous autres, riez tant que vous voudrez ; oui, je dis que c’est indigne. Moi, je trouve qu’au contraire on devrait bien accueillir les nouveaux et les mettre au fait de tout ce qu’ils doivent savoir. Ainsi, tenez, mon cher, quand le maitre vous a interrogé pendant la classe, vous n’avez pas répondu de manière à lui faire plaisir. C’est un homme qui a ses manies, mais du reste un charmant homme, et si instruit ! Par exemple, il veut qu’on lui donne son nom ; il exige cela. Et il veut encore qu’on l’appelle maître et non pas monsieur. Maitre, c’est comme cela qu’on parle en Sorbonne, tandis que monsieur est bon pour les épiciers. Ainsi donc, tout à l’heure, quand il vous demandera, comme il fait généralement aux nouveaux : — Quel fut le premier roi de Rome ? ou toute autre chose, répondez d’un air amiable : Maitre Aliboron, ce fut Romulus, qu’on disait fils d’une louve, etc. Vous savez cela, je pense ? — Riez, riez, messieurs, ce garçon-là a plus d’esprit que vous tous, et c’est moi qui le protège. De même encore, jeune homme, si vous désirez être dans les bonnes grâces du portier, ce qui est fort utile et avantageux, ne manquez pas, dès ce soir même, de lui aller acheter des culottes de peau. C’est une pâtisserie qu’il fait, qui est délicieuse, et dont il est fier. — Ah çà, voyons, dit-il en se retournant vers le groupe d’où partaient des fusées d’éclats de rire, sapristi, vous commencez à m’échauffer les oreilles, à la fin, et je vas taper !


— Eh quoi ! interrompit la maman, tu ne savais pas que maitre Aliboron est le nom de l’âne dans La Fontaine ? Voilà ce que c’est que de fuir les livres, d’être ignorant !

— Je trouvais bien ce nom drôle ; mais Je grand avait l’air bon, et je le croyais. »

La cloche avant sonné pour la rentrée en classe, Édouard avait quitté son nouvel ami en lui donnant une chaude poignée de main, et, pénétré de ses leçons et sans faire attention que les autres élèves ne parlaient pas ainsi au professeur, il n’avait pas manqué, lorsqu’il fut interrogé, de répondre, comme on le lui avait recommandé : Maître Aliboron…

Toute la classe partit d’un immense