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LA JUSTICE DES CHOSES

ÉDOUARD MAUSSADE

ré mi fa sol la
mi fa sol la si
fa sol la si ut :
sol la si ut ré
la si ut ré ni
si ut ré mi fa
ut ré mi fa sol !

C’est Adrienne qui vocalisait ainsi, en tournant dans la chambre avec des airs de valse, tandis qu’Édouard, couché sur une table, le nez sur son cahier, griffonnait son devoir.

C’était un soir d’avril : le soleil couchant jetait, par la fenêtre ouverte, ses derniers rayons dans la chambre ; les moineaux pépiaient dans les pierres d’un mur voisin, et les serins d’Adrienne chantaient aussi à cœur-joie.

« As-tu bientôt fini de miauler ? dit Édouard à sa sœur,

— Oh ! vraiment, Édouard ! s’écria la petite fille en cessant ses roucoulements.

— Eh bien quoi ? vraiment, Édouard ! si tu crois que ça m’aide à faire du latin, d’entendre hurler à mes oreilles.

— Il n’y a ici de hurleur que vous, monsieur l’impoli ! Est-ce ma faute si vos devoirs vous ennuient ?

— Ce ne sont pas mes devoirs qui m’ennuient, c’est toi ! »

L’entrée de la maman coupa la parole au petit garçon qui se remit à écrire. Seulement, au bout de cinq minutes, ayant senti un frôlement contre sa chaise, il s’écria, dans le ton où grincent les gonds des vieilles portes :

« Tu me fais remuer !

— Quand ce serait vrai, comment peux-tu le dire d’un pareil ton ? » dit la maman, car c’était elle qui se penchait sur le cahier d’Édouard.

Tout confus, il baissa la tête en murmurant :

« Pardon, maman, je croyais que c’était Adrienne.

— Et quand c’eût été Adrienne ?.…

— Moi, je suis bien contente de cela, dit la petite fille, parce que tu vois, maman, de quel ton monsieur me parle toujours à présent. Monsieur ne peut plus rien supporter… parce que monsieur est insupportable, ajouta-t-elle à demi-voix, de manière cependant à être entendue d’Édouard, qui lui lança un regard furieux.

— Il est certain, dit la maman, que tu es de fort mauvaise humeur depuis quelque temps, mon pauvre Édouard. Or je ne vois pas que personne ici soit méchant pour toi. Le mal est donc en toi-même, Serais-tu malade ? »

Édouard eut bien de la peine à répondre un non poli.

« Alors, qu’as-tu donc ?

— Mais rien, répondit-il, » ce qui est la réponse ordinaire de ceux qui ne veulent pas ou ne savent pas dire ce qu’ils ont.

Cependant, son humeur resta la même. Il n’avait plus un seul mot aimable pour personne, mais souvent, au contraire, des paroles grossières ou piquantes. Devant ses parents, il se contenait un peu ; mais on voyait que ce n’était pas sans peine. Il riait parfois, — les enfants ne sauraient vivre sans cela, — mais il ne souriait plus de ce frais sourire qui est l’épanouissement d’un être heureux, et qui éclairait habituellement sa figure, quand