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fallait faire autour du tronc de l’arbre une sorte de petite table, qui pût recevoir des gâteaux, ou des fraises, ou des cerises, ou des livres, ou la boîte à ouvrage d’Amine, ou le tricot de maman ou les lunettes de papa. Émile, qui s’était déjà beaucoup exercé au maniement des outils de menuiserie, fut l’ordonnateur de ce dernier travail, auquel Édouard ne manqua point de prendre une part active en rabotant et affilant les pieux destinés à soutenir la planche circulaire, et, pour tout dire, en se donnant souvent sur les doigts ; car tout apprentissage ases épreuves. Tout cela fait, non sans un grand déploiement d’activité, de délibérations en commun, d’allées et venues, de babillages, de projets, de rêves, où la fleur n’attendait pas pour éclore que la feuille eût apparu, ni même que la graine ou la racine eussent été placées dans la terre, tout cela fait, il se trouva que ces trois enfants étaient devenus les meilleurs amis du monde, et puis qu’Édouard avait perdu son humeur morose, et retrouvé ses veux brillants, ses joues rosées, son sourire et sa pétulance. Comme il faut le soleil à la plante pour s’épanouir, à l’être humain il faut la société des hommes, dans l’amitié.

« Mais, Édouard, dit un jour Amine, je suis bien contente que vous m’’aidiez. Mais pourquoi ne voulez-vous pas cultiver votre jardin ? Je vous aiderai aussi, en vous montrant comment il faut faire. »

Car la bande de terre désignée pour être le jardin d’Édouard était jusque-là restée sans culture ; et les herbes folles, voyant qu’on leur abandonnait ce terrain, bien exposé au levant, le long d’un mur, bien fumé, bien ensoleillé, s’y étaient, sans plus de façon, installées, et s’y étalaient à cœur joie. Jasant, croissant, fleurissant, elles y élevaient leur famille — tandis que dans les autres jardins étaient de jolies fleurs et de bons légumes qui poussaient. Édouard venait de comprendre les plaisirs du travail agricole ; il se hâta de suivre le conseil d’Amine. Il avait à réparer le temps perdu ; c’eût été pour lui seul bien difficile ; ses amis l’aidèrent et grâce à l’association, ce fut bientôt fait. Le terrain levé, il fallut tracer le plan, œuvre réfléchie. Sans prétendre aux merveilles du jardin d’Amine, Édouard voulut avoir un joli jardin. Il traça donc autour d’un rondpoint divers méandres, grâce auxquels, par la vertu de l’ovale et du cercle, on pouvait, dans un espace de quinze pieds carrés, faire autant de chemin qu’en fournit le tour du monde. Les gazons, les buis, les fraisiers, les petits œillets odorants, furent chargés de marquer et de garder les frontières de chaque province. Autour du rond-point, ce furent des massifs de fleurs ; les autres espaces reçurent : fraises, salades, radis, haricots, petits pois, cerfeuil, etc. Il y eut place pour tout, même pour un champ de lin ; car Édouard avait conservé un doux souvenir de cette fleur bleue, si mignonne, si frêle, qu’il avait rencontrée dans ses promenades autour de Paris.

Dès lors, ce jardin fut la récréation la plus pure d’Édouard, il n’avait jamais cru qu’un jardin pût donner tant de plaisir. Dès qu’il avait fait ses devoirs, il y courait, saisissait la bêche ou le sarcloir et, bien que fatigué souvent et tout en nage, ne le quittait qu’à regret. Il se levait une heure plus tôt, pour y travailler ; on le vit bêcher au clair de lune. Et la nuit, dans ses rêves, il voyait ses arbres couverts de fruits, ses arbres dont l’un, un pêcher, se trouvait encore en noyau sous la terre, les autres : un poirier, un pommier, un cerisier, n’étaient encore hauts que d’environ 50 centimètres. Graines ou plants, de même, à peine mis en terre, éclosaient dans sa tête au moins vingt fois par jour. Chaque matin, avant de se livrer au travail, il passait en revue ses plantations