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qu’on l’en priât comme auparavant. Et voilà que précisément on ne le faisait plus, que les bons sentiments qui s’étaient éveillés pour lui se trouvaient paralysés par sa froideur. Il avait voulu être seul : on l’y laissait. Il ne savait plus comment revenir.

Chacun des enfants avait dans le jardin son jardin ; c’est-à-dire une bande de terre assez grande, où il pouvait ensemencer, planter, créer à sa fantaisie. Celui d’Amine était le plus grand et le plus beau, et l’objet de l’admiration publique, à cause des merveilles d’imagination qu’y avait déployées sa créatrice allées, pelouses, massifs, bosquets, grottes, fontaines, cascades, jusqu’à des statues d’argile, qui, pétries par la jeune artiste, ornaient, d’une place à l’autre, des piédestaux rustiques, faits d’une pierre des carrières. voisines, ou d’une tronc mousseux ; quelque chose enfin comme un parc anglais, moins les troupeaux et les villages. Chaque année même, le plan se modifiait, suivant l’idéal nouveau, qui, sur des lectures nouvelles, s’était emparé de l’esprit d’Amine.

Cette année-là, sous un catalpa, qui commençait à étendre ses branches, Amine avait imaginé d’établir un salon de lecture et de conversation, formé de fauteuils de mousse ; d’abord, avec l’aide du plus jeune de ses frères, Émile, qu’on voyait empressé à la seconder, elle avait élevé en forme de sièges des tas de terre ; puis chaque matin ils s’en allaient découper dans le coteau voisin des bandes de belle mousse, avec les racines, et ces bandes posées sur les tas de terre, et bien arrosées, faisaient la plus belle tapisserie dont un fauteuil pût s’enorgueillir ; ce fut un long ouvrage, pour lequel les deux ouvriers se levèrent à l’aube pendant plusieurs jours ; car il fallait, à partir du déjeuner, se mettre à l’étude.

Amine et son frère, un matin, rouges de fatigue et pleins d’appétit, en étaient à contempler leur ouvrage, en attendant la cloche du déjeuner, quand Édouard, qui venait de se lever, arriva dans le jardin. Les jours précédents, il se serait enfui vers le coin le plus solitaire ; mais cette fois il se dirigea, un peu honteux, et bien doucement, vers les matineux travailleurs, qui, tout occupés de leur œuvre, ne le voyaient pas.

« Nous n’avons pas le nombre de fauteuils nécessaires, disait Amine avec inquiétude. Nous aurions dû prendre plus exactement nos mesures, vois. » Et elle comptait du bout de sa bêche, sur le cercle tracé, les fauteuils déjà faits et les vides.

« Mais si, tout le monde y est, répondit Émile, tiens papa, maman, le grand Victor, Charles, Jules, Ernest, toi et moi. C’est ça, je le savais bien. »

Il oubliait Édouard. Et Amine elle-même ne s’en apercevait pas. Elle recommença le compte après Émile, en donnant à chaque fauteuil, ou à chaque espace, le nom d’un membre de la famille, et, bien qu’elle semblat chercher quelque chose, elle ne pensait pas à Édouard. Il en eut le cœur serré, et cette plainte, où se mêlait l’amertume du reproche s’échappa de ses lèvres :

« Et moi ! »

En même temps, il se tourna pour s’en aller, et cacher les larmes qui lui venaient aux yeux ; mais sa douloureuse réclamation avait été frapper au cœur la bonne petite fille ; et tout aussitôt elle s’écria :

« Non, non, Édouard ! il y est le vôtre ; le voici ! C’est le mien qui est oublié ! »

Puis, afin de retenir Édouard, elle sauta par-dessus la cascade — fort intermittente, il est vrai, et à sec en ce moment et se trouva dans l’allée, près de lui.

« Nous arrangerons cela, Édouard, et vous seriez bien aimable de nous aider.