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et que berçaient le bourdonnement des abeilles, les chants des oiseaux, le crépitement des bois et des pierres sous le soleil, et la poussée de toutes choses, Tout à coup, des sons plus nets et plus graves ébranlèrent son oreille et le tirèrent de cette somnolence. Deux voix s’avançaient dans l’allée vers le bosquet, et Édouard reconnut celles de Mme Ledan et de sa fille. Elles parlaient des jonquilles écloses dans la plate-bande ; mais en approchant du bosquet, Mme Ledan demanda :

« Où est Édouard ?

— Oh ! je ne sais pas, répondit Amine d’un petit ton insouciant.

— Il faudrait pourtant vaincre sa sauvagerie à cet enfant.

— Puisqu’il ne veut pas. Moi, tu sais, j’ai fait tout ce que j’ai pu, car ça me faisait de la peine de le voir si triste ; et puis, c’est le plus petit des pensionnaires, et sa sœur est justement de mon âge, à ce qu’il m’a dit. J’aurais bien voulu l’égayer un peu ; mais non, vois-tu, maman, il n’y a pas moyen. Tout ce qu’on lui propose, il ne veut pas, et, rien que de lui parler, on dirait que ça l’ennuie. Et même, il n’est pas toujours poli avec ça. Dame, puisque c’est ainsi, moi, je ne veux pas le tourmenter. Apparemment, c’est son caractère ; seulement, il n’est pas gentil.

— Non, c’est qu’il regrette ses parents ; on ne peut pas lui en vouloir pour cela.

— Je ne lui en veux pas. Mais qu’il aime ses parents, cela l’empêche-t-il de nous aimer ? Moi aussi j’aime mes parents, et mes frères ; mais j’aurais bien aimé aussi Édouard, s’il avait voulu. Est-ce qu’avec un bon cœur on ne doit pas aimer tout ceux qui le méritent ?

— Sans doute, Amine, et c’est pour cela qu’il faut beaucoup pardonner aux malheureux.

— Je le sais bien, maman. Mais les malheureux ont-ils droit d’être méchants ?

— Ils n’ont pour cela que des excuses. Mais, parce qu’il est morose, Édouard n’est pas méchant.

— Hum ! fit Mie Amine, d’un ton rempli de soupçons. Il n’est toujours pas bon, puisqu’il repousse les gens qui veulent l’aimer. Quand je me suis écrasé le doigt, l’autre jour, Ernest est accouru bien vite en s’écriant : — Oh ! pauvre sœur ! — Et il m’a embrassée, et cela m’a fait du bien. Si je lui avais dit, sous prétexte que je souffrais : Laisse-moi tranquille, — je me serais crue méchante, oui, certes. Eh bien, hier, quand Édouard est tombé et s’est écorché le genou, et que j’ai voulu lui mettre une compresse, il m’a presque dit que je l’ennuyais. Oui, moi je crois que ceux qui repoussent l’amitié ont mauvais cœur. »

Les enfants sont bien plus sévères que les grandes personnes. Ces petites gens-là, qui ont Si souvent besoin qu’il leur soit pardonné quelque chose, sont impitoyables pour les fautes d’autrui. Cela vient sans doute d’un sentiment de justice ; mais… ne serait-il pas plus avisé ce sentiment s’il s’exerçait aussi sur les propres défauts de celui qui l’éprouve ?

Mme Ledan, qui avait vu bien des choses et connu beaucoup d’enfants, s’était aperçue qu’on fait mal souvent sans le vouloir et qu’il y a dans nos fautes à tous, et surtout dans celles des enfants, beau-Coup plus d’ignorance, de faiblesse ou de sottise que de méchanceté ; c’est ainsi que Mme Ledan était indulgente, tandis qu’Amine, en raison sans doute de ses treize ans, ne l’était pas. Elle voulait, elle, qu’on fût bon, aimable, grand au besoin, tout d’une pièce, et sans défaillance ; et elle rejetait net, sans marchander, tout ce qui n’était pas parfait.

Mlle Amine était-elle parfaite ? — Question importune. Eh ! s’agit-il de cela ? Il