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naient-ils si peu garde ! Affreuse imprudence ! Pour lui, à peine osait-il se mouvoir et respirer, et quand celui qui tenait la corde la lui attacha sous les bras :

« Lâche ! dit-il ; car il sentait qu’Édouard tremblait.

— Ah ça ! dit-il encore, après avoir fini, ne va pas faire de bêtises, ou…

— Non, non, murmura Édouard ; mais ne parlez pas ! Taisez-vous ! ne faites pas de bruit. »

Il se glissa dans l’étroite ouverture à reculons, et, à mesure qu’il s’enfonçait dans ce trou humide et dans ces ténèbres profondes, une impression plus vive de terreur et de dégoût le saisissait, le rendait éperdu. Le mal qu’il commettait et l’ombre où il se plongeait lui semblaient une seule et même chose, et comme un abime, où il descendait. Sa tête se troubla : il lui semblait que la lumière allait lui échapper pour toujours, et, suffoquant, il fit un effort pour remonter ; mais le mur glissant n’offrait à sa main aucune aspérité suffisante ; la corde filait, le poids de son corps l’entrainait et ses pieds tout à coup touchèrent le sol.

« Allons, fais vite, lui souffla-t-on du soupirail, en jetant le sac. »

Tout frémissant, Édouard promena les mains à droite et à gauche, toucha les : bouteilles, et en saisit une ; aussitôt, deux ou trois s’entrechoquèrent en roulant dans le vide qui venait de se produire, et ce bruit ébranla Édouard jusque dans la moelle des os. La peur le glaçait ; il avait cru entendre à quelques pas un souffle, et la, dans ces ténèbres, derrière lui, il lui semblait sentir quelque chose…

« Maladroit ! animal ! »

Tels furent les encouragements qui lui vinrent d’en haut. Il s’emparait avec plus de précaution d’une seconde bouteille, quand… — oh ! ce fut dans tout son être un bouleversement horrible !… — deux larges mains se posèrent sur lui, comprimant sa tête et sa bouche. À peine un râle put-il sortir de sa poitrine. Il crut mourir.

Une minute après, un bruit, comme celui d’une porte qui s’ouvre et se ferme, se faisait entendre à l’extrémité de la cave. En même temps, du soupirail, tombait cette parole : « As-tu fini ? Dépêche donc ! » Édouard essaya de crier, de se débattre ; mais les mains le serrèrent avec plus de force. Il y eut en haut un murmure, comme celui de gens qui chuchotent ; puis, tout à coup, un vif mouvement de pas qui s’écartent, s’enfuient. Et alors un pas plus lourd s’approcha du soupirail et une grosse voix jeta ces mots :

« Ils sont remontés par la fenêtre. Ce sont bien ces canailles de collégiens.

— Bon ! bon ! répondit une autre grosse voix derrière Édouard, dont tous les nerfs tressaillirent ; j’en tiens toujours un. Apporte de la lumière. »

De la lumière ! de la lumière ! Oh non ! plus jamais ! Édouard maintenant n’en voulait plus. Il eût voulu bien plutôt cacher à tous les yeux, ensevelir dans cette ombre son visage, qui était celui du fils d’un honnête homme, ce visage que les lèvres d’une mère, si bonne et si pure, avaient honoré de leurs baisers, et qui était devenu celui d’un voleur !

Son geôlier lui avait lâché la tête et ne le tenait que par le bras. Édouard se jeta aux pieds de cet homme.

« Oh ! s’écria-t-il, non, pas de lumière ! Ne faites pas venir de lumière, je vous en prie. Je ne veux pas qu’on me voie. Écoutez : soyez bon, soyez généreux ! Oh ! je vous en prie, laissez-moi partir… sans me voir, sans me regarder, et alors, je vous le jure, je vous rendrai tout ce que nous vous avons pris. Je vous rendrai plus, beaucoup plus !… Tenez, je m’y engage, tous les ans, pendant toute ma vie, s’il le faut, si vous le voulez, je vous apporte-