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été nommé caissier du club, était féroce sur ce chapitre, et même l’on n’était bien vu de ces messieurs que si l’on fournissait de temps en temps des extras à la consommation. Ceux qui ne le pouvaient pas étaient traités dédaigneusement, en vile plèbe, et pour rien au monde Édouard… — Quoi ! il tenait tant à l’opinion de ces mauvais sujets ? — Il le fallait bien, puisqu’il avait renoncé pour elle à sa propre estime et à mériter celle de ses parents.

Est-ce donc qu’il les estimait plus que ses parents et plus que lui-même ? — Pas du tout ; il les estimait fort peu. Cela est étrange ; mais n’en est pas moins commun. Beaucoup de gens, la plupart même, ont ce travers de tenir bien plus à l’opinion des indifférents, et même des sots, qu’à celle de leurs amis, et à la leur même. Il est difficile d’expliquer cela autrement que par une grande faiblesse de jugement et de caractère. — Et puis, si l’on voulait expliquer toutes les inconséquences humaines, il y en aurait pour cent ans, et votre patience n’irait sans doute pas jusque-là. Revenons à Édouard.

Donc, lorsqu’on veut absolument de l’argent et qu’on n’en gagne pas, comment faire ? — Édouard commença par faire du commerce en vendant à ses camarades, aux moins avisés et aux plus jeunes, ses billes, une vieille toupie qui ne tournait plus, des livres, qu’il prétendit ensuite avoir égarés, des coquillages, son éperon, oui, son éperon même, enfin tous les bibelots d’un vieux tiroir, tout cela plus cher que sa valeur, ce qui était déjà friponner. Le mot est dur, — mais pas plus que la chose n’est laide. Il vendit ainsi jusqu’à sa ceinture, et dit qu’il l’avait perdue, ce qui, outre le mensonge, fut un premier vol fait à sa maman ; car elle dut lui en racheter une autre. Enfin, il alla plus loin ; maintenant, au lieu de redouter les commissions, il s’en chargeait volontiers, s’en faisait donner même, et retenait quelques sous sur le prix de chaque achat.

Plus d’une fois, ce manége fut sur le point d’éveiller les soupçons de sa maman : car elle connaissait [e prix des choses. Mais, pour rien au monde, elle n’aurait cru son fils capable de pareille action, et préférait accuser les fournisseurs, disant : « Ils n’ont vraiment pas de conscience d’élever ainsi leurs prix, quand ils ont affaire à des enfants. »

Une fois, même, elle en fit des reproches à un marchand ; mais celui-ci n’hésita pas à se justifier en accusant Édouard. La pauvre femme fut indignée, et cessa d’acheter dans ce magasin, dont elle avait été contente jusque-là. Pour le marchand, il ne ménagea pas Édouard :

« C’est un odieux petit fripon, disait-il de lui, et sa pauvre mère est bien sotte ! »

Ainsi Édouard non-seulement trompait sa mère, mais lui attirait des insultes, en se faisant mépriser lui-même.

Au moins, était-il heureux du succès de ses vols et de ses mensonges ? Oh ! non, je vous jure ! Non-seulement il n’avait plus cette gaieté naturelle à l’enfant, qui n’a à se reprocher que les étourderies de son âge, qui vit, heureux de vivre, sur le sein maternel, occupé de ses devoirs à l’heure de l’étude, ou sous le ciel, au milieu de la nature, avec les horizons empourprés de l’avenir aux heures de récréation ; mais il vivait dans un tourment continuel, courbé sous le poids de ses fautes et sous l’appréhension constante de leur découverte. Il avait perdu l’insouciance facile de l’enfance, qui rend le chagrin si court et l’espoir si long ; sa santé altérée le rendait lourd, morose, inquiet, et ses nuits étaient hantées souvent de rêves pénibles.

Ce n’était plus ce petit Édouard si alerte, si rayonnant, qui grandissait et se