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pour le Japon, qu’est-ce qu’il me fait, à moi ? Je n’irai jamais.

— Tu n’en sais rien. Mais si tu n’y dois jamais aller, c’est une raison de plus pour chercher à le connaître par l’étude.

— Moi, dit Adrienne, je sais une histoire qui fait voir combien il est utile d’être instruit.

— Voyons ça, mademoiselle la savante.

— Eh bien ! c’était un homme jeté dans une île déserte par un naufrage, comme Robinson. Mais Robinson avait encore eu bien de la chance, lui, puisque le vaisseau lui était resté. Mais l’autre n’avait rien, ni planches, ni outils, ni biscuits, ni poudre, ni blé, rien enfin. Il n’avait pour aide que lui-même et ce qu’il savait de la nature de tous les climats ; de plus il était aussi très-fort en astronomie et en mathématiques. Il trouva des plantes capables de le nourrir ; il sut se vêtir et se loger ; il se fit des instruments et des armes en silex, comme les anciens hommes. Un jour qu’il était allé plus loin que d’habitude sur cette île qui lui était devenue habitable et douce, il rencontra, sur un autre point de la côte, des squelettes de gens naufragés. C’étaient des matelots, des hommes forts qui avaient péri là de misère, dans leur ignorance, tandis que lui, plus faible qu’eux, avait su vivre. Et enfin, plus tard, il vint à bout, par des inventions qu’il fit et par des calculs astronomiques, à savoir à peu près où il était, et de quel côté, et à quelle distance devait se trouver la terre habitée, où il parvint à aborder sur un radeau, en profitant des vents et des courants.

— C’est très-amusant, ces histoires, dit Édouard ; mais à combien de gens ces choses-là peuvent-elles arriver ? peut-être un sur… »

Il leva le nez en l’air, et d’un ton capable :

« Sur un milliard… »

Adrienne éclata de rire.

« Pourquoi pas sur trois. Il n’y a que deux milliards d’habitants sur toute la terre.

— Comme c’est joli, les petites filles pédantes, dit Édouard.

— Les pédants ne sont aimables ni en robe ni en pantalon, observa la maman ; mais ta sœur n’est pas pédante pour te reprendre entre nous quand tu te trompes. Elle ne te paraît telle que parce que son petit savoir, supérieur au tien, blesse ta vanité. Pourquoi veux-tu rester ignorant, si tu souffres de l’être ?

— Je… je n’en souffre pas, dit Édouard ! qui n’avouait pas ses torts facilement.

— Non, malheureusement. La paresse est un vice dont les enfants ne comprennent les conséquences que lorsqu’ils sont hommes, c’est-à-dire quand il est trop tard, bien tard du moins, pour y remédier. Cependant, en laissant de côté les iles désertes et les événements extraordinaires, tu dois comprendre que dans le monde où nous vivons, un paresseux, autrement dit un ignorant, étant payé selon son utilité, ne doit pas être admis à une grosse part des avantages sociaux. Si tu étais chef d’atelier, par exemple, à qui donnerais-tu la préférence ? à l’habile ou au maladroit ?

— À l’habile, parbleu ! répondit Édouard d’assez mauvaise grâce ; car il se voyait forcé de se condamner lui-même.

— Si tu étais administrateur d’une compagnie ou entrepreneur de travaux, qui préférerais-tu pour aide : un ingénieur muni d’un diplôme ou un simple terrassier ? »

Édouard ne dit rien, et la maman n’insista pas, car elle savait bien ce qu’il pensait en lui-même. Elle prit sur la table un journal et lut tout haut ce qui suit :

« Un épouvantable malheur vient d’arriver à Grenoble : un jeune garçon, atteint